RFI : Quand vous avez créé la Biennale de la danse en 1984, en quoi Lyon était prédestiné pour devenir la capitale de la danse en Europe ?
Guy Darmet : En 1984, ce n’était pas une chose déjà certaine. En 1984, il y avait déjà depuis quatre ans la Maison de la danse qui connaissait un vrai début de succès, qui gagnait chaque année des publics. La Biennale a permis d’aller au-delà. Ma mission était de faire aimer la danse au plus grand nombre. Aujourd’hui, Lyon est l’une des villes dans le monde où la danse a l’une des plus grandes places.
RFI : Il y avait un grand budget pour lancer la Biennale au début ?
G.D. : La Maison de la danse avait très peu d’argent. Il y avait une ligne budgétaire disponible avec un festival d’été qui périclitait, le festival de Lyon-Fourvière ne marchait plus. L’adjoint à la culture m’avait demandé ce qu’on pouvait faire avec cette petite ligne budgétaire. A l’époque c’était l’équivalent de 400 000 euros. J’ai dit : On peut faire un festival de danse.
RFI : Lyon est-elle devenue une ville qui vit avec la danse comme Avignon avec son festival de théâtre ?
G.D. : La Biennale est le plus grand festival de danse au monde avec le plus important budget (7,2 millions d’euros) et elle accueille le plus de compagnies : il y aura 35 compagnies et 17 créations mondiales dans cette édition. En effet, on peut rapprocher Lyon d’Avignon pour le théâtre.
RFI : A l’âge de quatre ans, vous avez dit à votre mère : Je veux devenir danseur - et vous avez reçu comme seule réponse une claque. Votre rêve d’enfant ne s’est jamais réalisé. Qu’est-ce que la danse représente aujourd’hui pour vous ?
G.D. : La danse, c’est toute ma vie. Je voulais être danseur, je ne l'ai jamais été, mais la danse m’a toujours accompagné, dans mon adolescence, quand j’étais étudiant où j’ai organisé les bals de la fac, ensuite en tant que journaliste, ensuite pendant 30 ans en rencontrant les plus grands créateurs du monde et en les faisant venir à Lyon.
RFI : Qui juge utile d’investir sept millions d’euros dans votre Biennale de la danse ?
G.D. : Ce n’est plus la ville, c’est l’agglomération, c’est la communauté urbaine de Lyon qui est le partenaire principal. Nous avons participé à modifier l’image de la ville et de l’agglomération lyonnaise qui avait une image d’une ville réservée, repliée sur elle-même. Cette ouverture au monde par la danse, avec ce défilé (le 12 septembre) qui réunit 300 000 personnes dans les rues de la ville a participé à la modification de l’image. On a même parlé pour le défilé de la création d’un rituel de l’agglomération. Pour une fois, les habitants se disent : une agglomération, ce n’est pas seulement des rues et des camions poubelles, de la voirie, c’est aussi quelque chose qui nous réunie tous ensemble. Nous faisons partie d’une même communauté, d’une communauté solidaire.
RFI : La réussite de la Biennale est aussi un succès pour la danse en générale. Est-ce que vous observez également une amélioration de la situation des danseurs, des chorégraphes et des compagnies ?
G.D. : Au fil des années a été mise en place en France une structuration de la danse par le ministère de la Culture qui est relativement exemplaire. On peut toujours mieux faire, mais tous les pays du monde reconnaissent qu’il y avait un véritable développement : 19 centres chorégraphiques nationaux dans toutes les régions de France, des plateaux pour la danse, des multiples aides aux créateurs – même s'elles sont insuffisantes. Au fil des années, cette explosion de la danse en France a créé un nombre de compagnies absolument considérable. Aujourd’hui, il est très difficile pour les compagnies de vivre et de survivre, parce qu’elles sont extrêmement nombreuses. Après des années très fastes, on passe avec la crise plutôt vers des stagnations ou des réductions de budgets qui vont rendre la situation des compagnies difficile. La situation des danseurs s’est améliorée, la danse reste la plus fragile de tous les arts et on sait que le danseur est le plus mal payé de tous les artistes.
RFI : A la Biennale il y a des stars comme Angelin Preljocaj, Alvin Ailey, Maguy Marin ou Tanztheater Wuppertal/Pina Bausch. Pour vous, la meilleure représentation de l’esprit du festival, ce sont les jeunes danseurs du Centro de Movimento Deborah Colker.
G.D. : Pour eux, c’est le moyen de sortir de leur condition. Ils viennent tous des favelas de Rio. Ils ont tous des histoires personnelles extrêmement difficiles. Pour eux, la danse est le moyen de vivre, de survivre. Nous devons avoir un regard particulier pour tous ceux qui sont en difficulté. Et quand l’art – ici, c’est la danse – peut leur permettre d’avancer, d’évoluer, c’est pour moi quelque chose d’important. Il y a cette année aussi une grande fête brésilienne avec le ballet de Rua. Ces danseurs sont déjà venus en 2002, à l’époque personne ne les connaissaient. Il y a deux mois, ils faisaient quinze jours à l’opéra de Sydney. Grâce à la Biennale ils se sont révélés dans le monde et peuvent vivre de la danse.
RFI : C’est votre dernière édition. Quel conseil donnez-vous à Dominique Hervieu, votre successeur à la tête de la Biennale de la danse ?
G.D. : Je lui fais entièrement confiance. Il y a une véritable filiation entre Dominique et moi-même. Je connais son ouverture d’esprit, son amour pour la danse, la diversité, le métissage, elle l’a prouvé dans tous ses spectacles. Donc pas de conseil, mais il faut que je lui dise ce qu’on dit dans notre métier : « Merde ! »