Avec notre envoyée spéciale et notre correspondant à Kiev, Anastasia Becchio et Sébastien Gobert
Le collège électoral numéro 48 est en plein centre de Kiev, près de la place de l’Indépendance, dans l’un des quatre districts de la capitale ukrainienne qui ont accordé plus de suffrages à Petro Porochenko au premier tour il y a trois semaines. Les quatre urnes transparentes s’emplissent peu à peu des bulletins de vote, sous l’œil de quatre observateurs.
Les deux candidats ont déjà voté chacun de leur côté, à une heure d’intervalle. Volodymyr Zelenskiy est arrivé vers 11h dans son bureau de vote, situé dans un quartier résidentiel un peu excentré, au bord du fleuve Dniepr. T-shirt blanc sous une veste sombre, il est venu avec son épouse, a confié qu’il avait peu dormi, mais s'être réveillé de bonne humeur en écoutant le rappeur américain Eminem. « Nous avons uni l’Ukraine. Ce serait une victoire du peuple ukrainien », s’est borné à dire le comédien.
Une heure plus tard, c’est le président qui est venu voter à la Maison des officiers, tout près du Parlement. Accompagné de son épouse, il a précisé qu’il arrivait de la cathédrale Saint-Michel. Les orthodoxes fêtent le dimanche des Rameaux, une semaine avant Pâques. Petro Porochenko a rappelé devant les caméras qu’il avait obtenu la création d’une Église indépendante de Moscou. Il a une nouvelle fois fait référence au profil de son adversaire venu du show-business, appelant les électeurs au bon sens.
« Parce que ce n’est pas drôle, a lancé le président, l’air sévère. Certes, au début, cela peut être un peu drôle et amusant, mais gare à ce que cela ne devienne pas douloureux par la suite. »
Il y a eu une controverse : Volodymyr Zelenskiy a montré son bulletin de vote aux journalistes, ce qui est interdit par la loi. Il pourrait donc célébrer sa victoire probable avec une amende. Ses détracteurs y voient le signe qu’il ne prend pas la politique au sérieux. Il faut dire que l’entre-deux-tours a fortement polarisé l’électorat. Le programme du favori est très flou ; une partie des Ukrainiens attendent un miracle, les autres une catastrophe. Et les résultats du soir n’apporteront aucune réponse à ces interrogations.
M. Zelenskiy n’a pas expliqué comment il comptait résoudre la guerre dans le Donbass, se positionner face à la Russie, ou améliorer le niveau de vie. Jusqu’au bout, il sera resté vague sur son programme. « Une présidence de cinq ans, ce n'est pas une comédie qu'on peut éteindre si ce n'est plus drôle » écrivait encore le président sortant sur sa page Facebook samedi.
Jusqu’au bout, Petro Porochenko aura insisté sur l’inexpérience, « l’incompétence », voire l’inconsistance de son adversaire, Volodymyr Zelenskiy. « Une présidence de cinq ans, ce n'est pas une comédie qu'on peut éteindre si ce n'est plus drôle » écrivait encore le président sortant sur sa page Facebook ce samedi.
Société polarisée
En tout cas, le scrutin mobilise. Le taux de participation était de 18%, trois heures après l’ouverture des bureaux de vote. C’est deux points de plus qu’au premier tour, lorsque Volodymyr Zelenskiy est arrivé largement en tête au plan national, avec 30% des voix contre quasiment moitié moins, près de 16%, pour le président sortant.
C’est d’ailleurs pour Zelenskiy que vient de voter Igor, 57 ans. « Nous sommes tous devenus plus pauvres sous cette présidence et nous n’avons plus d’avenir », regrette-t-il.
A l’inverse, Nicolas, la soixantaine, vient de donner sa voix à Petro Porochenko. « L’Europe le connaît, il a réussi à créer une alliance de pays contre la Russie qui nous agresse. Avec Volodymyr Zelenskiy, il faudra tout reprendre à zéro », nous dit-il.
En trois semaines de campagne assez agressive, le président aura-t-il réussi à combler son retard ? Les sondages, en tout cas, n’étaient pas très optimistes le concernant, accordant près de 70% des intentions de vote à l’acteur Zelenskiy.
Ce novice en politique n’a pas expliqué comment il comptait résoudre les grands problèmes qui inquiètent la société ukrainienne : la guerre dans le Donbass, la position face à la Russie, le niveau de vie… Jusqu’au bout, il sera resté vague sur son programme.
Dès ce dimanche soir, on saura combien d’Ukrainiens auront opté pour ce qui ressemble bien à un saut dans l’inconnu.