En Turquie, la campagne pour les municipales s'achève dans la peur

Elections municipales en Turquie ce dimanche 31 mars. Le pouvoir turc est inquiet : la crise économique pourrait bien détourner les électeurs de l'AKP, le parti du président Erdogan. Alors il n'a pas hésité à faire campagne sur la menace terroriste, taxant ainsi différents partis adverses comme CHP et le HDP.

Avec notre correspondant à Istanbul,  Alexandre Billette

Lors des nombreux meetings qu'il a tenus ces dernières semaines, Recep Tayyip Erdogan a posé la même question à ces sympathisants : « Allez-vous voter pour le parti d’opposition qui est main dans la main avec les groupes terroristes ? » Dans son viseur, le Parti républicain du peuple (CHP), principal parti d’opposition dont le candidat à Ankara est lui-même dans le collimateur de la justice pour corruption.

Ainsi, le parti présidentiel n’hésite pas à faire l’amalgame entre les kémalistes du CHP et le terrorisme, qu’il soit kurde ou güleniste. L’opposition a quant à elle dû faire campagne avec un temps de présence à la télévision dix fois moindre que celui du parti au pouvoir.

La campagne qui s'achève a ainsi été plus que jamais polarisée, dans une ambiance de peur croissante depuis le putsch raté de 2016. « Nous sommes passés à une phase critique de la campagne, il y a une nouvelle tendance depuis la semaine dernière : désormais, la peur est instrumentalisée, à tel point que le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Justice menacent ouvertement les électeurs », explique le journaliste Ünsal Ünlü.

Le sud-est pro-kurde également dans la ligne de mire

Signe que le pouvoir turc n’est pas totalement rassuré sur l’issue du scrutin de dimanche : les autorités menacent de nommer des administrateurs à la place des maires d’opposition qui seraient élus et qui « soutiendraient » le terrorisme. C'est aussi le cas dans le sud-est du pays, où une majorité de maires du parti pro-kurde de gauche HDP devraient être élus. Mais, pour les mêmes raisons, on ne sait pas si ces futurs élus pourront exercer leur mandat.

Près de 100 maires avaient déjà été démis de leurs fonctions et remplacés par un administrateur nommé par l’État après la tentative de putsch en 2016, lorsque le parti pro-kurde de gauche HDP a été accusé de soutenir le terrorisme du PKK.

C’est le cas dans la ville de Dersim qui de toute évidence devrait élire un maire d’opposition aujourd’hui. La candidate du HDP Nursat Yesil explique comment la ville est gérée depuis deux ans : « quand l’administrateur est arrivé par exemple, il a modifié le nom de parcs et de lieux publics avec des noms qui n’avaient rien à voir avec l’histoire locale : le bois Recep Tayyip Erdogan, le parc des Martyrs-du-15-juillet. Même lorsqu’ils achètent des biens chez les grossistes pour faire des distributions aux habitants, ils les achètent en dehors de la région, cela ne profite jamais aux commerçants d’ici. Voilà leur vision de la gestion municipale ! », s'insurge-t-elle.

Pour les élections de ce dimanche, le scénario pourrait se reproduire : le président Erdogan a déjà laissé entendre qu’il refuserait de voir des villes dirigées par ce qu’il qualifie de maires terroristes.

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