Dans un camp d’entraînement flambant neuf du district de Garbadani, à une petite heure de route de Tbilissi, une quarantaine d’officiers géorgiens s’entrainent. Plongés dans les cartes et les rapports de renseignement, ils arment un état-major chargé de piloter une brigade quelque part dans une Afrique imaginaire. Accompagnés d’une autre quarantaine d’officiers venus de plusieurs pays de l’Otan, ils font face aux réfugiés, aux journalistes, aux groupes armés terroristes.
Mais quel est l’intérêt, pour les militaires de ce petit pays du Caucase Sud, coincé entre la Turquie et la Russie, de se préparer à de tels scénarios ? Pour la Géorgie, la menace est beaucoup plus proche que le continent africain : 20 % de son territoire est occupé depuis 2008 par 7 000 soldats russes, qui assurent protéger des minorités en danger.
Tbilissi poursuit en réalité ses efforts pour rejoindre l’Alliance atlantique. Toute la semaine, ils ont mené cet exercice d’état-major afin de prouver aux Alliés qu’ils sont capables de s’entrainer au plus haut niveau, en respectant des méthodes extrêmement exigeantes. « C’est un club ultra-performant, estime le commandant Jérémy, un officier français présent pour les accompagner. C’était déjà compliqué pour nous. »
Devenir incontournables dans l’Alliance
La Géorgie travaille de longue date à un rapprochement avec l’Otan. Dès 1994, à peine trois ans après son indépendance, elle intègre le « Partenariat pour la Paix », un programme qui permet de développer la coopération et sa défense. En 2008, juste avant la guerre qui opposera Tbilissi aux forces russes, la Géorgie annonce officiellement vouloir rejoindre l’Otan. Depuis, lors de chaque sommet de l’Alliance, les chefs d’Etat membres renouvellent leur promesse : en temps voulu, elle sera intégrée.
Depuis, une multitude de mécanismes ont été mis en place : un programme d’instruction pour les militaires, un outil de dialogue avec les Alliés spécifique à la Géorgie, toute une série de projets de développement de l’armée… Même l’exercice de cette semaine fait partie de cette démarche. Car si les Géorgiens sont majoritaires dans cet état-major temporaire, ils sont surtout les organisateurs de la manœuvre : 18 mois de préparation et une maîtrise des codes otaniens particulièrement exigeante. La Géorgie est aujourd’hui le seul pays hors de l’Otan à avoir jamais organisé un tel exercice.
Le front afghan
Lundi, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg a été reçu comme un chef d’Etat par le Premier ministre géorgien Mamuka Bakhtadze. Partout dans la capitale, des drapeaux de l’Alliance sont accrochés le long des rues. Ce dernier, lui présentant une quinzaine de soldats géorgiens mutilés par des bombes en Afghanistan, affiche la détermination de son pays : « Nous avons sacrifié beaucoup pour combattre le terrorisme international. C’est une grande douleur pour notre pays. ».
Tous les membres du gouvernement géorgien le répètent d’une même voix : en Afghanistan, rapporté à sa population, la Géorgie est le plus gros contributeur. Pour ce petit pays de cinq millions d’habitants, 850 soldats sur place, c’est un investissement énorme. « Nous réalisons à quel point il est important d’être contributeur et pas seulement consommateur de la sécurité globale », argumente le ministre des Affaires étrangères, David Zalkaliani. Trente-trois soldats géorgiens ont perdu la vie en Afghanistan. Plusieurs centaines ont été blessées.
Avec Moscou, rien ne s’améliore
Malgré tous ses efforts, la Géorgie ne peut toujours pas bénéficier du statut officiel de candidat à l’Otan et à l’Union européenne. Les pays membres n’atteignent pas le consensus sur le sujet. Que se passerait-il si un pays occupé militairement intégrait ces organisations ? Faudrait-il déclencher la riposte militaire induite par leurs chartes respectives ? Alors en attendant, on félicite les Géorgiens d’être « les meilleurs partenaires de l’Otan ».
Plusieurs sources au sein du gouvernement confirment que depuis 2008, la situation avec la Russie ne s’est pas améliorée. Si les relations diplomatiques ne sont pas prêtes d’être rétablies, Tbilissi affiche sa bonne volonté en ouvrant ses frontières aux Russes sans visa, faisant de Moscou l’un de ses dix principaux partenaires commerciaux et un vivier important de tourisme.
Malgré cela, en Ossétie du Sud et en Abkhazie, la situation s’est enlisée. Les Russes font avancer leurs barbelés, ne cessent de répéter les Géorgiens. « Ce n’est pas une question de frontières qui avancent mais de frontières qui se durcissent », précise un Irlandais, membre de la mission de l’Union européenne chargée de surveiller la zone (EUMM), où l’Otan et l’armée géorgienne ne mettent pas les pieds, pour éviter les tensions.
Les Européens, non armés, observent le va-et-vient des Géorgiens qui, grâce à un permis spécial, ont le droit de circuler d’un côté à l’autre de la ligne de démarcation. Les Sud-Ossètes vérifient véhicules et documents officiels dans un poste frontière flambant neuf. Un peu plus bas dans la vallée, un camp russe tout aussi neuf. Il y en a 38 parfaitement identiques répartis entre l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, tous identiques. Dedans, les Russes vivent avec femmes et enfants. Un membre de l'EUMM explique pourquoi ces infrastructures ne sont pas plus discrètes : « Ils veulent montrer qu’ils sont là pour rester. ».