De notre envoyée spéciale à Londres
Les députés votent aujourd’hui, mercredi 27 mars, sur une série de solutions alternatives à celles que propose Theresa May. On ne sait pas encore combien de scénarios pour le Brexit vont être débattus par les députés cet après-midi, mais l’éventail pourrait être très large. De l’annulation du Brexit à un second référendum, en passant par le maintien dans l’union douanière…
Bref, tout sauf l’accord avec l’Union européenne que propose Theresa May, déjà deux fois massivement rejeté par le Parlement. Mais la Première ministre a déjà prévenu que rien, légalement, ne l’obligeait à tenir compte de ces votes.
Tournant politique
Cette journée s’annonce néanmoins comme un tournant dans la vie parlementaire britannique. Le gouvernement en est bien conscient, estimant dans un communiqué que l’initiative de la Chambre des communes « fragilise l'équilibre entre nos institutions démocratiques et pose un précédent dangereux et imprévisible ». John Springford, directeur adjoint du CER, le Centre pour la réforme européenne à Londres, y voit pour sa part « un profond changement constitutionnel pour le Royaume-Uni ».
« Dans notre système, ce qui se passe d’habitude, c’est que le gouvernement prend les décisions de politique étrangère, et que le Parlement de temps en temps peut avoir l’occasion de dire "oui" ou "non" sur un de ces choix, rappelle John Springford. Prendre la décision lui-même, pour le Parlement, c’est extrêmement rare. Et choisir de se prononcer sur différentes options sur le Brexit, c’est inédit. Cela veut dire que les députés essaient de décider de la nature de la relation que le pays doit avoir dans le futur avec l’UE. C’est vrai que cela installe un précédent. Mais je ne suis pas sûr que ce soit quelque chose qui puisse arriver très régulièrement. Parce que si nous trouvons un accord et que nous retournons à la normalité dans ce pays, avec un gouvernement soutenu par une très large majorité de députés, alors il pourra faire dans l’ensemble ce qu’il souhaite. »
Pouvoir éphémère
Ce que vont faire les députés pourrait bien n’être qu’une parenthèse dans l’histoire de la Grande-Bretagne. « Tout dépend de ce que le Parlement va faire de ce nouveau pouvoir », estime Anand Menon, professeur de politique européenne au King’s College à Londres. « Le Parlement a simplement gagné le pouvoir de contrôler son agenda pour une journée. Ce qui va être crucial pour le moyen terme, c’est ce qu’il va faire de cette journée, si quelque chose de décisif peut en sortir. Si c’est le cas, alors oui, absolument, je pense que le processus du Brexit aura profondément changé notre démocratie. »
« Avec le Brexit, nous avons une question qui divise comme jamais, déchire les grands partis, souligne le professeur au King’s College. C’est pour ces raisons structurelles qu’il est si difficile d’agir. Quand Theresa May a été nommée Première ministre, il y a eu des appels de députés qui lui ont dit qu’elle devait mettre en place une grande commission inter-partis qui trouverait un compromis qui conviendrait à chacun. Bien sûr, elle n’en a pas tenu compte. Et très ironiquement, on se retrouve maintenant dans cette situation, mais malgré elle. »
« Crise de régime »
Avec cette situation inédite dans l’histoire politique du Royaume-Uni, certains analystes évoquent même une « crise de régime », et un conflit entre deux souverainetés : la souveraineté populaire et la souveraineté du Parlement. Une rupture profonde qui trouverait sa source dans le résultat du référendum de 2016 : 51,9% des Britanniques se sont exprimés pour le Brexit alors que les trois quarts des députés s’y opposaient. Depuis, le soutien au maintien dans l’Union européenne est largement remonté, 55% selon un dernier sondage rendu public par la BBC.
Quant à cette analyse d’un combat depuis des mois entre souveraineté parlementaire et souveraineté populaire, Anand Menon la juge infondée. « Je ne pense pas que le Parlement soit à des kilomètres du peuple. Je pense que le vrai problème, c’est que le Parlement représente très exactement le peuple. Le Parlement est fondamentalement divisé sur le Brexit, tout comme le sont tous les Britanniques. En fait, la Chambre des communes reflète même très exactement le peuple. Il n’y a pas de majorité évidente pour une solution au sein des députés, et c’est la même chose dans l’opinion publique. »
Une démission dans la balance ?
Une pétition lancée la semaine dernière pour annuler le Brexit a recueilli 5 millions de signatures, soit 50 fois plus que le minimum (100 000) pour obtenir un débat parlementaire. Il est programmé lundi 1er avril. Mais le gouvernement a prévenu mardi soir qu’il n’était pas question de reculer sur le Brexit.
Reste l’autorité en lambeaux de la Première ministre. Theresa May est très attendue aussi ce mercredi : elle parle à huis clos devant les conservateurs en fin d’après-midi et jamais les rumeurs d’une possible démission n’ont été aussi fortes. Theresa May mettra-t-elle son départ dans la balance, contre le vote de l’accord signé avec l’Union européenne ? Un sacrifice pour faire basculer le vote. Et tant pis pour la tentative du Parlement de trouver un autre chemin.