C'est la plus grave crise politique depuis 1945 entre la France et l'Italie. La plus profonde aussi. Le rappel de l'ambassadeur de France en Italie est un signal très fort. Cela se passe entre deux pays fondateurs de l'Union européenne. Ce geste intervient après une visite de Luigi di Maio, le vice-Premier ministre, en France. Il n’avait pas prévenu de sa visite. C'est contraire aux usages. Le leader du Mouvement 5 Etoiles était venu rencontrer un des leaders des « gilets jaunes » et avait eu ce commentaire mardi 5 février : « Le vent du changement a franchi les Alpes ».
L’opposition à la France est devenue un axe majeur de communication de La Ligue et des 5 Etoiles. Quand ce n'est pas Luigi di Maio, c'est Matteo Salvini, le ministre de l'Intérieur d'extrême droite qui avait ainsi jugé il y a quelques jours « que la France se libérerait bientôt d'un très mauvais président », une sorte de course à l’échalote entre les deux dirigeants qui dépasse désormais la querelle politique. Pour beaucoup d'observateurs, un sentiment anti-français monte de l'autre côté des Alpes.
Matteo Salvini a très vite réagi au rappel de l'ambassadeur français : « Rome ne veut pas de conflit avec la France » et a proposé de rencontrer Emmanuel Macron. Drôle de déclaration d'apaisement, puisqu'on a du mal à imaginer un tête-à-tête entre un président et un ministre de l'Intérieur d'un autre pays. Ce n'est pas le même niveau de responsabilités. Ensuite parce qu'avec cette déclaration via un communiqué, le leader de La Ligue a à nouveau mis de l'huile sur le feu en demandant à la France de cesser de refouler les migrants à la frontière et d'héberger des terroristes italiens. Matteo Salvini parle bien sûr des militants d'extrême gauche des années de plomb. Matteo Salvini a été ciblé par Emmanuel Macron dès son arrivée au pouvoir en Italie sans le nommer : le président français avait parlé de « lèpre populiste », lançant ainsi sa campagne pour les Européennes sur le clivage progressistes contre populistes.
D'ici au 26 mai, date du scrutin européen, on a bien du mal à imaginer un apaisement.
A l’origine de la crise franco-italienne : l’immigration
Depuis juin 2018, soit l’arrivée au pouvoir de la coalition populiste La Ligue-Mouvement 5 Etoiles, les relations entre Paris et Rome sont devenues de plus en plus difficiles. C’est sur l'immigration, le dossier le plus sensible entre les deux pays, que le torchon a commencé à brûler en juin dernier.
L’Aquarius avec 630 migrants à bord attend au large de l’Italie sans autorisation d’accoster. « Cynique », « irresponsable », dénonce Emmanuel Macron. Furieux, Matteo Salvini exige des excuses et après une menace d’annulation, le nouveau chef du gouvernement Giuseppe Conte se rend à l’Elysée.
Le ministre italien d’extrême droite est ciblé quelques jours plus tard. Le locataire de l’Elysée évoque « la lèpre qui monte » en Europe et ceux qui « trahissent même l'asile ». A l’automne, il figure même comme repoussoir dans un clip du gouvernement français appelant à voter aux élections européennes.
Puis suit un tweet cette fois du leader de La Ligue : « En 2019, un printemps des peuples va balayer Macron et ses amis ». La crise des « gilets jaunes » apparait pour le gouvernement à Rome comme une aubaine. Matteo Salvini comme le chef de file du M5S expriment de manière répétée leur soutien au mouvement. Luigi di Maio a accusé aussi il y a deux semaines la France d’appauvrir l’Afrique par sa politique de colonisation. Cette fois la France fait le dos rond. Ces critiques n’ont aucun intérêt, a alors déclaré Emmanuel Macron, c’était il y a 5 jours.
Salvini reste à l'offensive, Di Maio assume
La dernière fois que la France n’avait pas de représentant au Palais Farnèse à Rome remonte à 1940 quand les deux voisins étaient en guerre. Les deux vice-présidents italiens ont chacun commenté cette décision de Paris, sans pour autant donner des signes d’apaisement.
Avec notre correspondant à Rome, Eric Sénanque
« Nous ne voulons pas nous fâcher avec la France, les polémiques ne nous intéressent pas », a déclaré Matteo Salvini dans un communiqué, livrant sa lecture de la crise diplomatique. « Nous sommes des gens concrets et nous défendons les intérêts des Italiens », a précisé le ministre de l’Intérieur qui se dit par ailleurs prêt à parler avec Emmanuel Macron.
Salvini se pose en interlocuteur numéro un de Paris oubliant qu’Emmanuel Macron ne discute qu’avec Giuseppe Conte, le président du Conseil. Mais derrière le ton conciliant du début, Salvini reste à l’offensive. Selon lui le dialogue ne pourra se renouer qu’à trois conditions : la fin des refoulements de migrants à la frontière franco-italienne, le retour d’une quinzaine de « terroristes italiens » qui selon ses mots « mènent la belle vie en France » et la fin des contrôles des travailleurs italiens frontaliers.
« Le peuple français est notre ami et notre allié » a réagi pour sa part, Luigi di Maio sur son compte Facebook, justifiant sa rencontre il y a deux jours avec les « gilets jaunes » comme « pleinement légitime ». Le gouvernement italien, précise le chef du Mouvement 5 étoiles, applique toujours le principe de non-ingérence dans les affaires internes d’un pays, et cela vaut aussi pour la France.