De notre correspondante à Istanbul,
Selon les derniers chiffres fournis par le gouvernement, 346 comptes sur les réseaux sociaux font l’objet d’une enquête préliminaire. Ces comptes, et donc leurs utilisateurs, sont accusés d’avoir partagé des messages « à des fins de provocations », selon les autorités, au sujet de l’effondrement de la livre ces derniers jours. Le gendarme des marchés turcs a aussi menacé de poursuites quiconque partagerait de fausses informations sur l’économie.
Il s’agit par exemple de messages qui affirment que la Turquie va mettre en place un contrôle des capitaux, ou un taux de change fixe, et convertir en livres les dépôts en dollars ou en euros des épargnants. Autant d’allégations démenties fermement par le pouvoir. Le président Recep Tayyip Erdoğan, qui met la crise actuelle sur le dos d’un complot international, a même parlé lundi de « terrorisme économique sur les réseaux sociaux ».
«D’insulte au président» à «incitation à la haine»
En dépit de l'ampleur de cette crise monétaire, les principaux médias du pays couvrent a minima les tourments de la livre et reprennent en cœur les éléments de langage de Recep Tayyip Erdoğan et c’est la raison pour laquelle de nombreuses voix critiques, y compris des économistes, se tournent vers les réseaux sociaux pour exprimer leur opinion sur la crise actuelle et ses responsabilités. Les économistes en question sont en général boycottés par les médias traditionnels, qui préfèrent donner la parole à des experts acquis aux théories du « complot politique » et de la « guerre économique » émises par Recep Tayyip Erdogan.
Reste que le sujet intéresse les citoyens turcs, et donc les internautes, qui suivent quasiment heure par heure les évolutions du taux de change. Les comptes spécialement dédiés au suivi du cours de la livre face au dollar se multiplient sur le réseau Twitter. L’un des plus populaires, Dolar Kuru, partage toutes les 15 minutes l’évolution du taux de change. Il est suivi par près de 14 000 abonnés.
Il faut dire que la répression qui frappe les réseaux sociaux en pleine crise de la livre n’est pas vraiment une surprise. Les réseaux sociaux sont en effet sous étroite surveillance en Turquie. Cette année, les autorités ont ainsi arrêté plusieurs centaines de personnes accusées d’avoir fait de la « propagande terroriste » sur internet, notamment pour avoir critiqué l'offensive d'Ankara contre une milice kurde dans le nord de la Syrie. Selon le ministère de l’Intérieur, qui fournit chaque semaine les chiffres de cette surveillance des réseaux, entre le 30 juillet et le 6 août, la justice a encore lancé des enquêtes contre plus de 260 internautes. Ils sont accusés, pêle-mêle, de «propagande pour une organisation illégale», « d’insulte au président », « d’incitation à la haine » ou même « d’atteinte à l’intégrité de l’État ».