Arkadi Babtchenko, 41 ans, s’apprêtait à entrer dans son appartement en portant ses courses, quand un agresseur lui a tiré plusieurs balles dans le dos. Il a rendu l’âme dans l’ambulance, quelques minutes plus tard, rapporte notre correspondant à Kiev, Sébastien Gobert. Les autorités ukrainiennes accusent les services russes. Le Kremlin dément et pointe du doigt les nationalistes ukrainiens.
« Une nouvelle tragédie s’est produite à Kiev : Arkadi Babtchenko a été tué, abattu dans sa cage d'escalier et déjà le Premier ministre ukrainien affirme que ce sont les services spéciaux russes qui on fait ça, a réagi le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov. L’enquête n’avait pas encore été ouverte. Cette tendance est triste et comme vous le voyez, beaucoup ont décidé de la suivre. C’est le cas de nos voisins ukrainiens, qui bénéficient d’une impunité totale de la part de leurs tuteurs occidentaux et qui ignorent complètement les conseils prodigués par ces mêmes tuteurs pour mettre de l’ordre chez eux, parce qu’ils savent que l’Ukraine leur est nécessaire pour faire avancer les points de vue russophobes et pour faire en sorte de créer des situations délicates pour notre pays. Mais qui connait l’histoire doit comprendre que tout ça est inutile et absurde. »
Soldat en Tchétchénie
Arkadi Babtchenko n'est pas un inconnu. Il avait dénoncé ouvertement la désinformation de la machine médiatique du Kremlin, ce qui lui avait valu de s'exiler de Russie. Il avait reçu de menaces à maintes reprises après avoir dénoncé l’implication russe dans la guerre en Ukraine. Il avait quitté son pays en février 2017, avec l’espoir d’y revenir le plus tôt possible. Il parlait alors d’une « campagne effroyable » de « harcèlement ». Il a d'abord vécu en République tchèque et en Israël, avant de s'installer à Kiev où il animait depuis un an une émission sur la chaîne de télévision privée des Tatars de Crimée ATR.
La police de Kiev a aussitôt déclaré privilégier la piste d'un crime lié à sa profession. Arkadi Babtchenko a participé en Russie aux deux guerres en Tchétchénie en tant que soldat avant de devenir un journaliste extrêmement critique vis-à-vis du Kremlin. Il avait raconté les guerres dans cette république russe du Caucase dans un livre édité en France par Gallimard sous le nom de La couleur de la guerre. Avant son départ de Moscou, il a notamment coopéré avec la radio russe Echo de Moscou et le journal d'opposition russe Novaïa Gazeta. Ce même journal dans lequel travaillait une autre figure du journalisme russe, assassinée elle aussi dans son immeuble, mais à Moscou : Anna Politkovskaya.
« Je suis fatigué d’enterrer les miens »
Depuis mardi soir, les hommages se multiplient sur les réseaux sociaux russes, ukrainiens et dans les médias en ligne. Ses collègues, sous le choc, se souviennent d’un journaliste et d’un écrivain talentueux, sans concessions, excessif parfois.
Ce nouveau meurtre rappelle en tout cas que l’Ukraine – en conflit larvé à l'Est avec la Russie – est dangereuse pour les opposants politiques et les journalistes, ukrainiens ou étrangers. Des dizaines de cas ont été recensés ces dernières années, les enquêtes aboutissent rarement. Les défenseurs de la liberté de la presse dénoncent un climat d’impunité qui nuit à la sécurité des journalistes.
« Je suis fatigué d’enterrer les miens », écrivait Arkadi Babtchenko en juillet 2016 après l’attentat contre son confrère Pavel Sheremet dans le centre de Kiev. Deux ans après, les meurtriers de Pavel Cheremet courent toujours. Et c’est dans d’aussi tragiques circonstances qu’Arkadi Babtchenko rejoint les siens.