De notre correspondant à Madrid, François Musseau, et de notre envoyée spéciale à Barcelone, Leticia Farine
L’incarcération de la moitié de l’ancien gouvernement sécessionniste destitué crée dans les médias espagnols des réactions contrastées, voire même antagonistes.
D’un côté, on estime que cette mesure judiciaire, certes rigoriste, est pleinement justifiée. Ces dirigeants politiques séparatistes ont désobéi aux lois espagnoles, ont défié le tribunal constitutionnel, dit le quotidien conservateur ABC, et ils méritent leur sort. Ils doivent être jugés en fonction de leur grave délit.
Même écho de la part d’El País. Junqueras et les autres ministres indépendantistes ont généré « une grave instabilité politique et ils doivent payer », peut-on lire dans le quotidien.
Une décision « inquiétante » pour La Vanguardia
En face, on estime que cette décision judiciaire est inquiétante et qu’elle installe, comme le dit le journal La Vanguardia, un très dangereux scénario.
Le journal digital El Diario dit la même chose, en affirmant que cette réponse abusive des magistrats espagnols offre une solution pénale à un problème politique et va générer un sentiment de martyre dans le camp indépendantiste, qui pourrait donc fort, affirme toujours le journal, remporter les législatives du 21 décembre.
« Dehors la justice espagnole », crient les indépendantistes
L’analyse d’El Diario semble juste au regard des réactions, jeudi en fin d’après-midi, dans le camp pro-indépendantistes. D’abord sidérés devant leurs téléphones, ils n’ont pas tardé à reprendre leurs esprits et à se rendre au parc de la Ciutadella, devant le Parlement, pour participer à une grande manifestation en soutien à ceux qui sont désormais considérés comme des prisonniers politiques.
Les cris de ralliement se sont enchaînés pendant plusieurs heures et on a entendu çà et là : « Vous n’êtes pas seuls », « C’est Puigdemont, notre président », « Pas de retour en arrière » ou encore « Dehors la justice espagnole ».
Les indépendantistes divisés en vue des élections
Mais pas question de céder à la panique, l’heure est à la résistance. A l’appel de différents mouvements citoyens et politiques pro-indépendantistes, des rassemblements étaient prévus ce vendredi à midi devant les universités et les hôpitaux et à 19 h, heure locale, devant les mairies catalanes.
Et ce, alors qu’une grande manifestation devrait avoir lieu dimanche 12 novembre à Barcelone. Plusieurs organisations ont également appelé à la grève générale jusqu’à la libération des prisonniers politiques.
Les partis indépendantistes se sont divisés jeudi sur la question d’une possible coalition en vue des élections du 21 décembre. L’ancien groupe parlementaire « Catalogne, oui c’est possible » a revendiqué une réponse collective.
De son côté, Oriol Junqueras, ex-vice-président de la Généralité catalane et leader de la gauche républicaine, avait expliqué avant son incarcération que chaque parti devait choisir la meilleure formule pour participer aux élections.
Quant au Parti démocrate européen catalan, la formation de Carles Puigdemont, elle a fait savoir qu’elle demanderait l’avis de ses sympathisants sur la question. Quoiqu’il en soit, les délibérations devront se faire rapidement car la date butoir pour présenter une coalition est prévue pour le 7 novembre 2017.
■ Pourquoi la détention pour les huit membres du gouvernement catalan destitué ?
Les partisans de l'indépendance dénoncent un « procès politique », une « prise d'otages ». La juge de la Haute Cour espagnole a estimé que les délits de rébellion et sédition justifiaient une mise en détention provisoire, dans la mesure où l'acte de proclamation de l'indépendance aurait été imaginé dans un plan prémédité plus large. Jean-Marc Sanchez, avocat franco-espagnol, explique cette décision judiciaire :
« Il y a sans doute un calcul. […] Et ça, ça a été rappelé par le juge d’instruction qui a considéré qu’il y avait un risque sérieux de disparition de preuves, et surtout la possibilité que les personnes poursuivies puissent fuir. Il a également fait référence à […] un plan qui a pour but d’amener la Catalogne vers une indépendance. Et ça correspond très exactement à des documents qui ont été saisis, qui effectivement, expliquaient comment et pourquoi tout cela était préparé », assure Jean-Marc Sanchez.
« Je ne suis pas sûr que tout ait été préparé dans les moindres détails, mais il y a une feuille de route. Cette feuille de route mène au fur et à mesure, dans une espèce de stratégie de l’usure, de guerre de positions, à amener les représentants du gouvernement catalan à devoir apparaître comme des victimes sur la scène internationale et le gouvernement espagnol à devoir négocier, voire accepter, une situation qui ressemble de plus en plus au fait accompli », explique l’avocat.