De notre correspondant à Moscou, Etienne Bouche
Au départ, il s’agit d’une sculpture installée dans un cabinet médical universitaire, une sorte d’éléphant de mer croisé avec un être humain : il en a, en tout cas, les bras, avec les mains l’une dans l’autre, posées sur un gros ventre mou. Il est en position assise et il attend. Sa créatrice a voulu en faire une figure rassurante pour les patients du centre médical.
La sculpture existe depuis un an mais elle est sortie de l’anonymat il y a quelques semaines, quand elle a été photographiée par une Russe. L’image atterrit sur les réseaux sociaux et connaît un succès immédiat en Russie, mais aussi en Ukraine. Elle devient ce qu’on appelle un « mème », une image utilisée dans des montages humoristiques et déclinée à l’infini. La créatrice n’en est pas revenue, elle a fait part de sa surprise le mois dernier au service russophone de la BBC. Ce personnage a d’ailleurs désormais un nom en russe : le Jdoun.
Une certaine incarnation de l’attente
Ce n’est pas seulement parce que l’apparence du personnage est amusante que l’image est partagée. En fait, le mot Jdoun vient du verbe russe jdat qui veut dire « attendre ». « J’attends » se traduit jdou. Les Russes semblent avoir trouvé dans cette créature une certaine incarnation de leur quotidien : l’attente.
Ce personnage mou et apathique symboliserait une société russe passive et résignée. N’importe quel Russe le dira, en Russie, il faut savoir attendre : dans les administrations, à la poste, il faut se ranger dans une queue décourageante et prendre son mal en patience. La poste a particulièrement mauvaise réputation en la matière et, comme elle a récemment lancé un programme pour moderniser son fonctionnement, elle a fait du Jdoun le symbole de la « poste du passé ».