RFI : L’article de Mediapart pointe Cristiano Ronaldo, mais en fait c’est tout un système que vous démontez, le système Mendes.
Jorge Mendes est un agent portugais. Il est tout simplement l’agent le plus puissant du monde. On savait qu’il négociait des transferts faramineux ; ce qu’on apprend aujourd’hui, c’est qu’il s’occupait aussi des impôts de ses plus riches clients, qu’ils n’en paient pas. Il a mis en place tout un système d’évasion fiscale extrêmement bien organisé, avec des sociétés offshore. L’argent arrivait en Irlande, parce que c’est propre, c’est en Europe, ça n’attire pas les soupçons, pour être dispatché aux îles Vierges britanniques, en Suisse ou au Panama.
Avec un chiffre hallucinant : 150 millions d’euros dissimulés par un joueur.
Cristiano Ronaldo. 150 millions rien que pour lui. Et 185 millions d’euros avec les six autres. Cristiano Ronaldo gagne 75 millions de droits à l’image – les revenus versés par les sponsors, comme Nike ou Samsung – sur lesquels on lui demande de payer 2,6 millions. Parce qu’étranger vivant en Espagne, il bénéficiait d’un régime fiscal ultra avantageux, il était dix fois moins taxé qu’un citoyen lambda espagnol. Et malgré cela, il n’a pas voulu payer et a caché son argent aux îles Vierges.
Les documents sur lesquels vous avez travaillé sont contestés par une bonne partie des personnes visées par votre article. Que vous disent-elles ?
Déjà, ils nous envoient leurs avocats, ils nous menacent de poursuites judiciaires. Et surtout ils ne répondent pas sur le fond. On leur a posé des questions très précises, ils savaient parfaitement ce qu’on allait publier. Et plutôt que de démentir, ils nous ont envoyé leurs avocats. Le cabinet d’avocats de Cristiano Ronaldo, Jorge Mendes et tous les autres nous a quand même envoyé de très courtes réponses écrites qui confirment nos informations. Ils reconnaissent par exemple qu’il y a un contrôle fiscal toujours en cours sur Cristiano Ronaldo. Ils confirment également le montant du redressement fiscal qui a été infligé à José Mourinho, c’est-à-dire 4,4 millions d’euros.
Les documents que vous rendez publics ne sont qu’une partie des documents que vous avez en votre possession. Cela veut dire qu’il y a encore beaucoup de révélations à venir ?
Oui, trois semaines de révélations. C’était seulement le coup d’envoi ce vendredi soir. Il y aura des révélations sur la France. Mais ce qui est très intéressant dans toutes ces histoires qui sont très différentes, c’est qu’elles montrent un système. Elles montrent que le foot, au même titre que les marchands d’armes ou que les grandes multinationales comme Google et Amazon, a une manière assez généralisée de blanchir l’argent via des montages offshore. Ça peut être pour échapper au fisc, pour distribuer des commissions occultes, pour faciliter les transferts d’argent, pour la prostitution ou le blanchiment d’argent d’origine douteuse qui est injecté dans le foot… On voit que le foot devient un business ultra spéculatif où on cherche à évader l’argent par tous les moyens.
Il y a eu des pressions qui ont été exercées, notamment sur vos confrères espagnols pour ne pas qu’ils publient ces révélations. Et très peu sont ceux qui ont osé les publier en Espagne.
On a envoyé nos questions le 23 novembre et le jour même, les avocats de Jorge Mendes obtenaient d’un juge espagnol une décision de censure, une interdiction de publier. Nous sommes douze médias – dont El Mundo en Espagne – et l’ensemble des douze médias a reçu une lettre de menace de poursuites judiciaires. Evidemment, ni El Mundo, ni Mediapart, ni nos dix autres partenaires n’ont cédé à ces pressions.
Est-ce que vous diriez que ce que vous révélez et ce que vous allez révéler démontre que le football professionnel est un milieu pourri ?
Il ne faut jamais généraliser. Il y a évidemment des gens qui font honnêtement leur métier dans le football. Mais ce qu’on voit, c’est qu’il y a des dérives extrêmement prégnantes, et notamment cette mauvaise habitude d’évader l’argent. Parce que c’est très simple, le football. Les transferts sont par nature multinationaux, il y a des acteurs dans plein d’endroits différents, beaucoup d’intermédiaires. C’est tellement facile d’évader de l’argent que malheureusement, certains ont bien du mal à résister à la tentation.
Vous pensez que les joueurs incriminés vont voir leur cote de popularité descendre ?
Ce n’est pas notre but. Notre but n’est pas de tuer le foot, ce n’est pas de casser le rêve. Ce qu’on veut expliquer aux supporters, c’est qu’ils sont les premières victimes parce que tout cela est fait avec leur argent, celui qu’ils mettent pour aller au stade, pour acheter des abonnements à des chaînes payantes. Et finalement, cet argent qui pourrait servir à construire des stades, mais aussi des écoles, des hôpitaux n’arrive pas dans les caisses des impôts. Ce qu’on veut dire, c’est qu’on doit se réveiller. Le foot est un beau jeu, un jeu qui fait rêver tout le monde, mais il faut que ce milieu devienne un peu plus propre.