Après une période estivale émaillée de petites phrases, le ministre chargé des négociations du Brexit est intervenu, le lundi 5 septembre, devant les députés pour leur expliquer sa vision des choses. David Davis a expliqué qu’il voulait construire une relation « dynamique, constructive et saine » et obtenir un « accord sur mesure » avec l’Union européenne, mais il n’a rien dévoilé de bien concret, ce qui lui a valu des piques de la part de l’opposition travailliste et de certains députés conservateurs hostiles au Brexit, qui l’accusent de n’avoir aucun plan bien défini.
L’impression de flou est telle que l’idée d’un deuxième référendum n’a pas perdu de son actualité. Le Parlement a d’ailleurs débattu d’une pétition en ligne signée par plus de quatre millions de partisans du maintien dans l'Union européenne (UE), mais le porte-parole de la Chambre des Communes avait prévenu, au préalable, que ces discussions ne déboucheraient sur aucune décision.
Pour autant, les partisans du « Remain » (le maintien dans l'UE) ne désarment pas et beaucoup continuent de plaider pour la tenue d’un deuxième référendum. Owen Smith, l’adversaire de Jeremy Corbyn pour l’élection au poste de chef du Labour, réclame l’organisation d’un deuxième référendum au moment où l’accord final sera conclu à Bruxelles. Il exige aussi que Theresa May consulte le Parlement avant de déclencher l’article 50, qui doit marquer le début du processus de retrait.
Pour l’ancien député travailliste Denis MacShane, « un vote n'est pas une décision pour l’éternité et on a le droit de contester son résultat ». L’ancien ministre des Affaires européennes de Tony Blair pointe le fait que la campagne du référendum a été accompagnée de nombreux mensonges, « dignes des années 1930 » et que les citoyens britanniques ont, selon lui, voté, sans vraiment répondre à la question posée.
« Brexit means Brexit »
Theresa May a, à maintes reprises, rejeté l’idée d’un deuxième référendum. La chef du gouvernement britannique répète « Brexit means Brexit » (« le Brexit, c'est le Brexit »). Régulièrement, pourtant, des voix s’élèvent pour affirmer que la sortie du Royaume-Uni de l’UE n’est pas inévitable. C’est la thèse défendue par Gus O’Donnell, patron de l’administration britannique entre 2005 et 2011 dans une interview avec le Times.
Plusieurs recours en justice ont été lancés, arguant du fait que seul le Parlement avait la souveraineté pour déclencher l’article 50 du Traité de Lisbonne, qui lancera le compte à rebours de la sortie de l’Union. Or, en l’état actuel des choses à Westminster, les partisans du maintien dans l’UE sont majoritaires. La Haute cour doit statuer en octobre sur ces recours juridiques.
« La Grande-Bretagne est un régime parlementaire et la souveraineté appartient au Parlement. Celui-ci devra se prononcer à un moment donné sur les négociations », explique Florence Faucher, spécialiste du Royaume-Uni, professeur au Centre d’études européennes de Sciences Po. Pour autant, un retour en arrière lui semble impossible. Un avis que partage Christian Lequesne, qui enseigne au Centre de recherches internationales à Sciences Po : « Formellement, cela serait possible puisque le référendum était consultatif, de même que le gouvernement pourrait organiser un deuxième référendum, c'est sa prérogative. Mais il ne le fera pas, parce que politiquement, il y a trop de coûts ».
Reste maintenant à trouver une « voie de sortie pour la Grande-Bretagne », souligne Florence Faucher. En la matière, les choses s’annoncent délicates. « Les implications d’un retrait sont très complexes parce qu’elles vont toucher non seulement les questions d’immigration et la possibilité pour la Grande-Bretagne de réguler qui rentre ou non dans le pays, explique la chercheuse, mais elles touchent aussi aux libertés fondamentales qui sont au fondement de l’Union européenne ». Quelle formule sera acceptable comme alternative à l’adhésion, « c’est la grande question », résume Christian Lequesne.
Libre circulation au cœur des négociations
Theresa May et ses ministres vont devoir s’employer à trouver les meilleures conditions pour négocier une nouvelle relation avec l'Union européenne. Mais la tâche s’annonce délicate, d’autant qu’au sein même du gouvernement britannique, les points de vue sont loin d’être toujours les mêmes. Certains ministres plaident pour un Brexit version allégée, le plus proche possible du statu quo. Le ministre de l’Economie Philip Hammond défend le maintien au sein du grand marché européen, sur un modèle proche de celui de la Norvège.
Cette position, qui a les faveurs du patronat, nécessite de conserver la libre circulation des personnes avec le reste de l’Europe. Or, « les électeurs qui ont voté pour le Brexit se sont prononcés en grande partie en raison de leur ressentiment à l’égard de l’immigration et de la crise des réfugiés », rappelle Florence Faucher. Ce sujet reste une des principales priorités du gouvernement, a expliqué le ministre du Brexit devant les députés, lundi. Il estime que la diminution de l’immigration n’aura pas forcément d'impact sur l'accès au marché unique européen.
David Davis affirme vouloir obtenir un accord sur mesure pour la Grande-Bretagne et pas une solution « standard ». « Cela veut dire contrôler le nombre de personnes qui se rendent en Grande-Bretagne depuis l'Europe, mais également une solution positive pour ceux qui veulent vendre des biens et des services », a résumé le ministre. Mais au sein même du parti conservateur, certains élus dénoncent un abus d’optimisme.
La chef du gouvernement britannique va tenter de trouver une solution de compromis estime pour sa part Philippe Marlière, politologue à la University College de Londres : « Il y a plusieurs Brexit possibles et Theresa May, qui est une pragmatique, qui n’est pas une idéologue sur cette question, va tenter de trouver une solution dans laquelle la Grande-Bretagne quitte les institutions mais continue de travailler avec l’UE sur la plan économique ».
Le Royaume-Uni est un pays qui compte sur le plan économique en Europe. « Elle réalise 50% de ses échanges commerciaux avec les autres Etats de l’Union européenne, elle accueille de nombreux citoyens communautaires, 350 000 Français environ travaillent à Londres, énumère Christian Lequesne. On ne peut donc pas être trop brutal du côté de l’Union européenne, car les intérêts économiques sont mêlés ». Selon ce chercheur de Sciences Po, certains Etats sont plus favorables un compromis souple que d’autres. «Mme Merkel, si elle est réélue l’an prochain, aura une position plutôt souple parce que la Grande-Bretagne est un partenaire commercial qui compte pour l’Allemagne et les deux pays partagent une vision libérale de l’économie », explique-t-il.
Gagner du temps
Theresa May a fait savoir qu’elle ne déclencherait pas l’article 50 avant le début de l'année prochaine. Le Royaume-Uni aura alors deux ans pour négocier les modalités de son départ de l'UE et quitter l'Union. Mais la presse britannique évoque désormais une notification au mieux en milieu voire à la fin de l’année prochaine, après les élections présidentielle en France et législatives en Allemagne.
A l’issue du sommet du G20 en Chine, François Hollande a estimé qu’une officialisation britannique à la fin de l'année était « un délai raisonnable », tout en mettant en garde que « tout report aurait des conséquences dommageables, d'abord pour l'économie britannique » mais aussi « pour l'ensemble des économies et pas seulement européennes ».
Mais Theresa May va encore tenter de gagner du temps. « Au moment où elle a pris la tête du parti conservateur et la tête du gouvernement, on était dans une situation de totale impréparation », souligne Florence Faucher. « Les principaux partisans d'un départ de l'Union européenne au sein même de son parti, Boris Johnson et Michael Gove, n'avaient eux-mêmes pas véritablement envisagé les implications d'une victoire de leur camp. Elle a donc besoin, effectivement, de gagner du temps, parce qu'il faut que les services de l'administration, les hauts fonctionnaires mais aussi les avocats, les juristes, les économistes se penchent sur les conditions pratiques des négociations d'une sortie, d'un détricotage de tous les accords qui lient la Grande-Bretagne à ses 27 partenaires », souligne la politologue du Centre d’études européennes de Sciences Po.
Ce travail sera long et coûteux. Devant le Parlement, David Davis, le ministre du Brexit, a expliqué que 300 personnes étaient aujourd’hui mobilisées pour préparer la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne : 180 à Londres et 120 à Bruxelles.