Deux Europes s'affrontent sur la question des travailleurs détachés

Onze pays de l'UE, dont dix d'Europe de l'est, font front commun contre un projet de la Commission européenne destiné à mieux lutter contre le dumping social des travailleurs détachés.

Avec notre correspondant à Bruxelles,  Pierre Bénazet

Il y a deux mois, la Commission européenne avait émis une proposition visant à réformer la législation actuelle sur la mobilité des travailleurs en Europe, la « directive sur les travailleurs détachés ». Cette législation vieille de vingt ans est sous le feu roulant des critiques en Europe de l'ouest où l'on estime qu'elle favorise le dumping social (concurrence entre travailleurs) avec l'arrivée de centaines de milliers de travailleurs d'Europe centrale et orientale dont les charges sociales sont acquittées dans leur pays d'origine.

En France, en Allemagne et en Belgique, de nombreuses voix avaient dénoncé cette main d'oeuvre, venue surtout de l'est travailler pour des salaires dérisoires dans des exploitations agricoles, abattoirs ou chantiers en Europe occidentale. Par exemple, 428 000 Polonais travaillaient hors de leur pays en 2014 alors que l'Allemagne accueillait 400 000 travailleurs détachés. « En l'état, la situation actuelle concernant les travailleurs détachés n'est tenable pour personne: ni pour les entreprises, ni pour les travailleurs, ni pour l'Union européenne », a réagi l'eurodéputé française conservatrice Elisabeth Morin-Chartier.

Travailleurs détachés = concurrence déloyale ?

La Commission voulait donc en changer les règles. Elle a ainsi proposé de limiter le statut de travailleur détaché à ceux qui sont réellement là à titre temporaire et d'aligner les salaires par secteur. Mais les pays d'Europe centrale et orientale lui mettent les bâtons dans les roues en déclenchant une procédure dite du « carton jaune ».

La Commission maintiendra le texte

Mise à part la Slovénie, tous les autres pays de l'UE de l'ancien bloc de l'Est ont décerné ce carton jaune, c'est-à-dire les pays dont est originaire l'essentiel des travailleurs détachés. Avec le soutien inattendu du Danemark, ils ont été suffisamment nombreux pour que cette procédure particulière soit validée.

Dans le jargon bruxellois, un « carton jaune » est le nom donné à une procédure instituée par le traité de Lisbonne (entré en vigueur en 2009), permettant de contester une directive - un projet législatif européen - au motif que le sujet devrait être traité au niveau national et non européen.

La Commission va devoir réfléchir si elle revoit sa copie. Mais il est certain qu'elle ne retirera pas ce texte, objet d'un engagement ferme de son président Jean-Claude Juncker et réclamé à cor et à cri par les pays d'Europe occidentale. Les pays auteurs du carton jaune vont quoi qu'il arrive réussir ainsi à gagner du temps et à allonger la procédure qui pourrait durer des années avant le vote final.

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