Portraits de Roms à la Maison européenne de la photographie

« Terre d’exil » est le titre d’une exposition sur les Roms à la Maison européenne de la photographie, à Paris. Une trentaine de clichés poignants sur cette grande minorité transnationale. Souvent stigmatisés et ostracisés en Europe centrale, les Roms y vivent dans des conditions de précarité choquantes. À travers cette série réalisée entre 1998 et 2013 en Roumanie, en Bulgarie, au Kosovo et en Macédoine, Jean François Joly espère changer le regard que les Européens portent sur cette population venue d'Inde au Moyen Âge. Entretien.

RFI : Pourquoi avez-vous choisi d’aller dans ces pays pour photographier les Roms ?

Jean-François Joly : En 1994 ou 1995, il me semblait que ça allait devenir un problème. J’en parlais dans les rédactions à l’époque et puis les chefs de service photo me regardaient avec de gros yeux en me disant : « Oh tu sais, les Roms, ça n’intéresse personne ». En 1996 ou 1997, j’ai eu vent de Mosaïque, une grosse bourse décernée par le Centre National de l’Audiovisuel du Grand-Duché de Luxembourg. J’ai écrit mon projet, une écriture assez politique : comment peut-on parler de construction européenne, alors que pour les Roms, la première grande minorité transnationale, on ne dit rien, on n’en parle pas.

Pour vous, y a-t-il un véritable problème de racisme concernant les Roms en Europe de l’Est ?

Ah, c’est clair ! Ostracisme et racisme ! Quand vous voyez ce qui se passe en Bulgarie et en Hongrie, c’est même plus que ça. C’est de l’apartheid ! Par exemple, les Roms de Macédoine eux-mêmes disent qu’on les considère comme des chiens. Pour moi, ce mot-là était hyperviolent. Il revenait tout le temps. « Nous sommes des chiens, on est considérés comme des chiens ». Dans certains pays, il y a des constructions de murs.

C’est-à-dire qu’ils n’ont pas accès aux emplois publics, ils n’ont pas accès au système éducatif ?

Notamment en Macédoine, pays de l’ex-Yougoslavie. Ce sont des gens qui sont parfois nés sur le territoire macédonien, mais qui n’ont pas de pièce d’identité. Et aujourd’hui, même en Macédoine, pour retrouver son identité, il faut payer un avocat. Or, ces gens-là n’ont pas l’argent. Quand vous n’avez pas l’argent, on n’a pas d’identité. C’est terrible. Ils n’ont pas droit à l’éducation, ils n’ont pas droit aux soins médicaux, aucune aide sociale… Je me souviens d’ailleurs d’un garçon dont la photo est exposée ici et qui me disait : « Le soir, je me couche le ventre vide ». C’est terrible !

Le statut ou les conditions de vie des Roms se sont-ils détériorés depuis la chute du mur de Berlin ?

Ça, c’est sûr. En Roumanie, par exemple, c’était des gens qui travaillaient dans les kolkhozes. Donc ils avaient un emploi. Je suis allé à Cluj-Napoca, une ville du nord-ouest, une grande ville universitaire. Là, les Roms vivent sur une très grande décharge de la ville. Ils récupèrent ce qu’ils peuvent comme matériau à recycler et puis beaucoup de nourriture pour leurs cochons et leurs poules, puisque ce sont d'anciens agriculteurs. C’était terrible là-bas. Ils vivent dans des « baraques » très proche de la décharge et pour certains sur la décharge. C’était terrible de voir les mères emmailloter complètement les bébés parce qu’ils se faisaient manger les orteils par les rats.

Avez-vous perçu chez eux le sentiment de vouloir fuir justement cette Europe centrale qui les accueille si mal où pourtant ils vivent depuis des centaines d’années ?

Je ne dirais pas que c’est une fuite. C’est juste chercher l’espoir de pouvoir vivre, juste vivre normalement. Et d’ailleurs, la plupart des Roms que vous avez ici dans les rues de Paris, ils font des allers-retours sans cesse avec la Roumanie ou la Bulgarie, parce que leurs racines sont là-bas. Et aujourd’hui on veut les faire prendre pour un peuple migrant, mais c’est complètement faux.

Ce ne sont pas des migrants ?

Pas du tout ! Ils avaient des maisons comme tout un chacun. Ce qui s’est passé, notamment en Roumanie, avec la fin du mur, c’est qu’après il y a eu des partis extrêmes qui les ont chassés, qui ont brûlé leur village, brûlé leur maison. Donc après, forcément, on est obligé de bouger.

Là on est en face de la photo illustrant le catalogue. Elle traduit le désespoir de ce personnage vivant dans une décharge. Vous l’avez prise où ?

Cette image a été faite sur la décharge de Cluj-Napoca en Roumanie. La particularité est que cet homme est un des premiers à être arrivé sur cette décharge. D’ailleurs, c’est le seul qui avait sa cabane, sa « baraque », vraiment presque sur la décharge. Dans son regard, il n’y avait aucun espoir. Et cet homme travaillait dans un kolkhoze.

Donc c’est un ancien ouvrier agricole devenu trieur de déchets ?

Voilà. Comme 95 % de toutes les personnes qui sont sur ces décharges.

Qu’est-ce que vous voudriez que les gens comprennent en voyant vos photos ?

Qu’ils comprennent que ce sont des êtres humains. Ce qui est troublant ici dans l’exposition, c’est que c’est eux qui nous regardent finalement. Tous les regards sont dirigés vers nous. Parfois c’est dérangeant. Il y a des gens qui ont du mal à supporter ça. J’aimerais que le regard de tous ces gens qui passent, là, change un peu quand ils vont les croiser dans la rue en train de faire la manche ou en train de jouer de la musique, ou juste passer avec un poussette avec un bébé dedans, qu’ils se disent : « Eh bien oui, tiens ! Ce sont des hommes et des femmes que j’ai vus dans une expo de photos et qui sont aussi des êtres humains ».

Ecouter l'intégralité de l’interview avec Jean-François Joly sur Terre d’exil

► Terres d’exil, exposition de Jean-François Joly sur des Roms, jusq’au 6 juin à la Maison européenne de la photographie.

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