Satire d'Erdogan: Angela Merkel accepte la demande de poursuite pénale d'Ankara

La satire signée Jan Böhmermann sur la chaîne de télévision publique allemande ZDF contre le président turc Erdogan est devenu une affaire d'Etat en quelques jours. Ankara veut poursuivre le comédien mais le Code pénal allemand prévoit dans ce cas le feu vert du gouvernement allemand dans une situation très délicate.

Avec notre correspondante à Berlin, Pascal Thibaut

La décision d'Angela Merkel concernant la plainte d’Erdogan contre un humoriste allemand était très attendue et plaçait le gouvernement dans une situation délicate. Le Code pénal prévoit en effet que des poursuites pour insultes contre un chef d'Etat étranger doivent d'abord être autorisées par Berlin avant que la justice ne puisse se saisir de l'affaire. Le dilemme d'Angela Merkel était évident : brusquer le président turc Erdogan en refusant la demande d'Ankara allié aujourd'hui stratégique dans la crise migratoire actuelle ; ou l'accepter et se voir accuser de donner la priorité à la Realpolitik et aux bonnes relations avec la Turquie plutôt qu'à la liberté d'expression.

Angela Merkel a opté pour cette seconde option tout en signalant les divergences au sein de sa coalition, les sociaux-démocrates s'opposant à un tel feu vert. La chancelière s'est efforcée de désamorcer les critiques dans son propre pays alors que les deux tiers des Allemands trouvent qu'elle ménage trop Ankara. Angela Merkel a ainsi souligné que ce feu vert ne présageait en rien de la décision de la justice soulignant son indépendance en Allemagne ainsi que le respect de la liberté d'expression, critiquant indirectement la situation en Turquie. « Dans un état de droit, des droits fondamentaux comme celui d’expression sont essentiels pour le pluralisme et la démocratie, la justice est indépendante et les droits des personnes garantis, la présomption d’innocence est la règle », a-t-elle déclaré.

Des réactions mitigées

A droite, on salue la décision de la chancelière et on se félicite que des juges indépendants tranchent. Les ministres SPD considèrent que des poursuites pour crime de « lèse-majesté » ne sont plus au goût du jour. « Nous sommes d’avis que la demande aurait dû être rejetée. La liberté artistique et celle de la presse sont des valeurs essentielles à protéger », a dit le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier.

Le parti de la gauche radicale Die Linke estime que « Merkel s'est couchée devant le despote Erdogan et a sacrifié la liberté de la presse en Allemagne ».

La plupart des commentaires dans la presse saluent la décision de la chancelière. « On ne se couche pas devant Erdogan. L'Etat de droit s'applique tout simplement » écrit le quotidien de centre-gauche « Süddeutsche Zeitung » pour qui des juges indépendants vont décider.

Un des rares commentaires négatifs est celui du quotidien populaire « Bild Zeitung », très lu : « la décision souligne le prix moral à payer pour le deal sur les réfugiés conclu avec un homme qui ne partage en rien nos valeurs ».

Berlin veut à l'avenir éviter de se retrouver dans une situation aussi inconfortable. Le paragraphe 103 du Code pénal sera supprimé d'ici 2017. Un responsable politique étranger pourra à l'avenir intenter des poursuites pour diffamation devant la justice allemande sans que le gouvernement n'ait à donner son feu vert.

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