Attentat en Turquie: l’organisation EI accusée, le PKK bombardé

La Turquie est sous le choc après l'attentat d'Ankara, le plus meurtrier de l'histoire du pays, qui a fait au moins 97 morts samedi 10 octobre. Des milliers de personnes se sont rassemblées près des lieux du carnage pour rendre hommage aux victimes. Le gouvernement a décrété un deuil national de trois jours, les familles ont commencé à enterrer leurs proches morts dans l'attentat. Les premiers éléments de l'enquête semblent mettre en cause les jihadistes du groupe Etat islamique, qui n'ont rien revendiqué pour le moment, au contraire. L'émission Décryptage de ce lundi 12 octobre, diffusée à 19h13 heure de Paris sur RFI, reviendra sur ce sujet.

Dans un premier temps, le gouvernement turc avait évoqué la possibilité que les séparatistes kurdes soient derrière l'attentat d'Ankara, avant de privilégier la piste de l'organisation Etat islamique. « Tous les indices mènent à la piste de l'Etat islamique », ont indiqué les enquêteurs ce lundi.

Selon les services de sécurité, l'attentat d'Ankara ressemble fortement à celui commis à Suruç, près de la frontière syrienne, en juillet dernier. Au total, 32 personnes avaient trouvé la mort dans cette attaque attribuée aux jihadistes, mais que ces derniers n'ont jamais revendiquée officiellement.

Démenti de l'EI ?

Mais ce lundi matin, l’organisation a publié un texte en forme de démenti sur Internet, relate notre correspondant à Istanbul Jérôme Bastion. Le site takvahaber.com, l’organe de propagande en langue turc des jihadistes, évoque le meeting comme un « rassemblement d’athées », ce qui est leur jargon habituel quand ils parlent des Kurdes. Les commentaires du site apparaissent donc comme un démenti sans appel de toute responsabilité du groupe EI dans l’attentat de samedi 10 octobre.

Sur ce site, on peut lire que les raisons de la double explosion « ne sont pas connues » et « pourraient être l’œuvre de kamikazes ». On est loin ici des communiqués vengeurs et triomphants habituels, et encore plus d’une revendication en bonne et due forme. Cela affaiblit donc la thèse officielle brandie par la Turquie, qui avait déjà un peu hâtivement, et avec bien peu de preuves, jeté la responsabilité de l’attentat de Diyarbakir début juin, puis surtout de l’attentat de Suruç, fin juillet, sur l’organisation Etat islamique.

Or, le groupe jihadiste n’a jamais reconnu son implication dans ces deux attaques. Et voilà qui renforce du même coup les soupçons de l’opposition kurde, qui accuse directement les services secrets turcs, qu’elle considère intimement liés aux jihadistes. Seule certitude pour l'instant : les deux bombes ont été déclenchées par deux kamikazes. D'après des médecins légistes, il s'agit d'un homme et d'une femme. Leurs noms n'ont pas été communiqués.

Reprise des bombardements turcs

La trêve unilatérale annoncée samedi 10 octobre par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) n'aura en tout cas duré que quelques heures. Ce dimanche, les autorités turques ont rapporté la mort de deux gendarmes, tués dans un échange de tirs avec les rebelles kurdes.

Tout le long de ce week-end, alors que le pays éait en deuil, l'armée a mené des raids contre les positions du PKK. Des dizaines de rebelles ont été « éliminés », selon les autorités militaires qui avaient déclaré auparavant ne pas tenir compte de la trêve annoncée par le PKK.

En tout cas, cette nouvelle attaque sanglante révèle un gouvernement AKP de plus en plus affaibli et isolé. Le Premier ministre Ahmet Davutoglu a reçu dimanche le chef de l'opposition, qui lui a demandé de faire face à ses responsabilités et de prendre des décisions radicales.

Crise politique

Le chef du gouvernement intérimaire a une nouvelle fois appelé les partis d'opposition à faire front commun contre le terrorisme. Mais seul le leader du Parti social-démocrate CHP, Kemal Kiliçdaroglu, a répondu à l'invitation, pour dire au Premier ministre ses quatre vérités. Après l'affirmation du ministre de l'Intérieur niant toute défaillance des services de sécurité, il a exigé des mesures exemplaires.

« Je lui ai dit que le ministre de l'Intérieur, qui est la cause de ce drame et qui fait cette déclaration, doit absolument démissionner et s'il ne le fait pas, il doit être limogé, a déclaré Kemal Kiliçdaroglu. Le ministre de la Justice, alors que le peuple vit un profond traumatisme, se permet de sourire devant les caméras. Ce ministre ne peut pas rester à son poste. Ces deux ministres, s'ils respectent la population, doivent quitter leurs fonctions. »

Le Premier ministre aurait promis une enquête interne avant de trancher, mais il apparait paralysé et fragilisé, à trois semaines d'élections législatives cruciales pour l'AKP. Dans ce contexte politique chauffé à blanc, il est étonnant de constater que Recep Tayyip Erdogan, chef de l'Etat et toujours patron du parti de gouvernement, reste silencieux et quasiment absent de la scène, comme si lui aussi commençait à douter.

Vers un report des élections ?

Après l'attentat d'Ankara, la tenue des élections législatives semble beaucoup plus compliquée. Pour Didier Billion, directeur adjoint de l'Iris (Institut des relations internationales et stratégiques) et co-auteur de l'ouvrage L'année stratégique 2016, aux éditions Armand Colin, la bonne tenue du scrutin était déjà compromise avant les récents événements.

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