La Turquie sous le choc: grand rassemblement à Ankara

La Turquie est sous le choc au lendemain du double attentat d'hier qui a tué au moins 95 personnes lors d'un rassemblement à Ankara. Le gouvernement a décrété un deuil national de trois jours à compter de ce dimanche. Des milliers de personnes se sont réunies à Ankara en hommage aux victimes de l'attentat.

La tension était toujours palpable, dimanche matin devant la gare d’Ankara, où a eu lieu le double attentat, rapporte notre correspondant à Istanbul Jérôme Bastion. A l’heure précise où les deux bombes ont explosé samedi, c'est-à-dire à 10h du matin, les responsables du meeting pour la paix, dont le co-président du HDP Selahettin Demirtas, voulaient se recueillir et déposer des fleurs en hommage aux victimes, au lendemain de l'attaque. Mais la police avait disposé des barricades et a brutalement dispersé les leaders politiques et syndicaux, à coup de gaz lacrymogène et de matraques.

Une heure plus tard, un autre rendez-vous avait été donné dans le même quartier pour une foule beaucoup plus importante. Plusieurs milliers de personnes ont pu cette fois se rassembler, à bonne distance des forces de police, lançant des slogans hostiles au président Erdogan. Sur une tribune, les leaders politiques et syndicaux ont pu prendre la parole et rappeler l’appel à la grève pour lundi et mardi.

Il n’y a pas eu de dérapage jusque-là, mais la foule était toujours massée sur place dimanche midi. Les animateurs voulaient constituer un convoi funéraire avec les corbillards transportant les dépouilles des victimes et passer devant la gare endeuillée, mais l’autorisation leur en a été refusée. C’est au compte-gouttes ce dimanche midi que les dépouilles sont rendues à leurs familles, à la morgue de l’Institut légal d’Ankara, pour être envoyées dans leurs provinces d’origine, où les enterrements ont commencé.

Toujours pas de revendication

Le deuil et la colère montent alors que l'enquête n'a pas encore donné de résultats. L'attentat n'a pas encore été revendiqué. Les autorités évoquent trois pistes : le parti des travailleurs du Kurdistan PKK, l'organisation Etat islamique et un parti d'extrême gauche, le Front révolutionnaire de libération du peuple.

L'incertitude règne aussi sur le nombre de victimes. Le parti pro-kurde HDP, qui a perdu plusieurs de ses sympathisants dans l'attentat, parle de 128 morts. Un chiffre non confirmé par les autorités selon lesquelles au moins 95 personnes ont péri dans l'attentat le plus meurtrier commis sur le sol turc.

Malgré le drame, un responsable gouvernemental confirmait ce dimanche matin la tenue du scrutin législatif anticipé à la date prévue, le 1er novembre prochain.

Crise politique en vue

Au lendemain du double attentat, une crise politique se dessine dans le pays, alors que l’AKP, le parti au pouvoir semble de plus en plus isolé et affaibli. Fait très inhabituel d’abord, le président Recep Tayyip Erdogan n’a pris la parole qu’une seule fois, samedi, pour dénoncer une attaque de haine et promettre la plus forte des réponses. De son côté, le chef du gouvernement Ahmet Davutoglu a appelé dimanche les partis d’opposition à faire front commun contre le terrorisme mais le mouvement ultranationaliste a décliné l’invitation. Et si le leader social-démocrate Kemal Kiliçdaroglu a accepté de le rencontrer ce dimanche, c’est pour dire au Premier ministre ses quatre vérités.

Le leader social-démocrate a d’abord dénoncé le fait que le Premier ministre n’ait voulu prendre contact avec le parti pro-kurde HDP. Ensuite, il a demandé la démission du ministre de l’Intérieur, qui a nié toute défaillance des services de sécurité, et de celui de la Justice, surpris en train de sourire lors d’une conférence de presse peu après l’attentat. Kemal Kiliçdaroglu a également demandé des explications au sujet de députés AKP ayant envoyé, sur le réseau social Twitter, des messages incendiaires et insultants à des journalistes d’opposition et au sujet aussi d’un parrain de la mafia ayant tenu meeting pour soutenir le président Erdogan, en promettant de faire « couler le sang des Kurdes ».

Cette rencontre tendue reflète l’ambiance politique générale et l’embarras grandissant du gouvernement, à trois semaines d’élections législatives cruciales.

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