De notre correspondant à Vienne,
Choukri Ghanem avait son domicile à Vienne, où il est mort, mais ce n'est pas la justice autrichienne qui s'intéresse actuellement à son cas. En revanche, plusieurs instructions ont été menées dans d'autres pays d'Europe, concernant de possibles détournements de fonds. C’est la Norvège qui, la première, s’est intéressée au business d’une de ses propres grandes sociétés avec l’ancien ministre libyen du Pétrole. Elle a soupçonné ce groupe, très tôt, d’avoir versé des pots-de-vin à Choukri Ghanem, pour obtenir le droit d’ouvrir une usine en Libye.
L’enquête a commencé dès 2010 et cette multinationale d’Oslo a été condamnée à une amende record en 2014, pour corruption d’agent étranger. L'affaire a fait grand bruit, puisque cette entreprise très puissante est le leader mondial de la production de fertilisants. Elle s'appelle Yara. Il faut savoir que Choukri Ghanem a longtemps été à la tête de la richissime compagnie nationale libyenne de pétrole. C’était donc l’interlocuteur en Libye, pendant des années, de tous les Européens qui voulaient faire du business avec le régime de Mouammar Kadhafi.
Aux Pays-Bas, on s’intéresse également de très près aux circuits financiers du défunt ministre. Les autorités ont découvert que l’argent du pétrole libyen était géré depuis une société domiciliée à Amsterdam, et administrée par le gendre de Choukri Ghanem, c'est-à-dire le mari de sa fille. Or, cette société a effectué plusieurs virements sur un compte détenu à Genève par le fils de M. Ghanem, Mohamed. En 2012, après la Norvège, la Suisse et les Pays-Bas se sont intéressés à leur tour au détournement potentiel de fonds libyens par le clan Ghanem. Le beau-fils de l'ancien ministre est suspecté de falsification de documents, fraude et blanchiment d’argent. L’enquête est toujours en cours.
Aux Pays-Bas, l'affaire prend un tour politique
En Europe, le clan Ghanem a-t-il bénéficié d'interventions politiques ? C’est une révélation assez surprenante, faite par le grand journal économique hollandais NRCHandelsblad. Selon ce journal, la femme de Nick Glegg, homme politique britannique de premier plan, aurait demandé l’année dernière à un ancien ministre hollandais des Affaires étrangères, alors que son mari était encore vice-Premier ministre démocrate-libéral du Royaume-Uni, d’intervenir auprès du procureur, de faire du « lobbying » en faveur du clan Ghanem.
La femme de Nick Clegg, l'Espagnole Miriam Gonzales, a connu cet ex-ministre hollandais, Bernard Bot, lorsqu'elle travaillait à Bruxelles, auprès de la commissaire autrichienne Benita Ferrero-Waldner. Cette dernière, quant à elle, est bien connue pour avoir participé à la libération des infirmières bulgares. Miriam Gonzales travaille maintenant pour un grand cabinet d’avocats à Londres, qui défend les intérêts du fils et du beau-fils de Ghanem.
Le Hollandais Bernard Bot serait quant à lui rémunéré comme consultant par la famille Ghanem. Ainsi, grâce à cette puissance libyenne, on vient presque de faire le tour de l’Europe. Et il y a fort à parier que d’autres affaires apparaîtront ailleurs. A noter que Choukri Ghanem possédait aussi un passeport italien. C'est d'ailleurs ce passeport qui lui avait permis de quitter la Libye au moment de la révolution contre Mouammar Kadhafi. Espérant trouver refuge en Autriche, à Vienne, il y a finalement trouvé la mort.