En Ukraine, une révolution numérique pour lutter contre la corruption

Dans la plupart des pays du monde, l’heure est à la numérisation des services publics, dans une logique de faciliter leur usage pour les citoyens et de réduire la paperasserie. L’Ukraine ne fait pas exception, mais pour le pays, la digitalisation a aussi un but tout particulier : lutter contre la corruption.

De notre correspondant à Kiev, Sébastien Gobert

C’est une révolution assez conséquente pour l’administration ukrainienne car il s’agit de plus de 500 services publics qui sont peu à peu mis en ligne, sur la plateforme iGov.org.ua : 21 services sont déjà disponibles, et les autorités en promettent 532 dans les plus brefs délais. Cela va de la demande d’extrait de casier judiciaire à la demande d’un passeport extérieur, en passant par l’enregistrement des voitures. Au lieu de se déplacer en personne, d’avoir à faire la queue, attendre, fournir des copies de documents en tout genre, les usagers ukrainiens vont désormais pouvoir effectuer de nombreuses démarches administratives de chez eux. Dans un pays qui reste pauvre, où les routes sont dans un mauvais état et de nombreuses familles ne possèdent pas de voiture, c'est un changement conséquent.

Les bénévoles de la révolution numérique

Cette entreprise de numérisation est menée par une armée de volontaires : ils sont plus de 1 000 spécialistes et ingénieurs informaticiens à avoir répondu à un appel des autorités, et ils procèdent à la digitalisation des services publics à titre bénévole. Cela économise des millions d’euros à un Etat au bord de la banqueroute, et c’est encore une preuve de la remarquable mobilisation citoyenne en faveur de réformes que l’on voit en Ukraine depuis la « révolution de la dignité ».

L’un des objectifs de cette numérisation est de lutter contre la corruption. En Ukraine, on ne parle pas trop de réduire la consommation de papier pour préserver l’environnement ou d’alléger le millefeuille bureaucratique. Ici, la principale motivation est de réduire au maximum les contacts des usagers avec les fonctionnaires, qui engendrent souvent des bakchich et des pots-de-vin. Les trafics autour d’une demande de passeport, ou l’obtention d’un permis de faire des travaux dans son appartement sont nombreux. Cette corruption systématique a littéralement plombé l’Ukraine depuis son indépendance. En soi, cette digitalisation n’est pas suffisante pour l’éradiquer, mais c’est un progrès considérable.

Un gouvernement en ligne

Les autorités ont des plans très ambitieux. L’idée, à terme, serait de créer un G-Store, une « boutique du gouvernement » qui regrouperait l’essentiel des services d’Etat, et serait accessible à travers des applications sur smartphones. Bien sûr, on est encore très loin d’une digitalisation maximale de l’Etat ukrainien, et de l’instauration d’une procédure d’élections en ligne, par exemple.

Mais la numérisation, décidée par le gouvernement central et mise en oeuvre par ce millier de bénévoles, a vocation à être diffusée à travers les régions, au-delà de Kiev et des grandes villes. Cela implique d’avoir des administrations locales efficaces, ce qui est loin d’être le cas. Il faut aussi voir comment Kiev peut compter étendre la digitalisation à un pays où le taux de pénétration d'Internet était de moins de 42 % en 2013, selon la Banque mondiale.

Il faut enfin se rappeler que des centaines de milliers de personnes ont dû quitter leurs domiciles à cause de la guerre et que de nombreuses administrations régionales sont désorganisées. Bref, il y a beaucoup à faire, et pour l’Ukraine post-soviétique, la révolution numérique va prendre beaucoup de temps.

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