Avec notre correspondant à Berlin,
Les temps changent. Il y a dix ans, pour le 60e anniversaire de la fin de la guerre, un hôte de marque ému s'était rendu sur la place Rouge pour apprécier la parade militaire lors des cérémonies. Le chancelier Gerhard Schröder, un proche de Vladimir Poutine, assistait aux festivités avec sa femme. Une cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement étaient également présents.
Dix ans plus tard, la situation a des parfums de guerre froide. De nombreux responsables étrangers boudent la parade militaire du 9 mai devant le Kremlin. Angela Merkel n’y sera pas non plus. Difficile, explique-t-on à Berlin, de regarder des chars défiler, alors qu'ils ont peut-être été utilisés il y a peu pour soutenir les séparatistes dans l’est de l’Ukraine.
Mais ignorer totalement ces commémorations et les millions de morts militaires comme civils causés par les forces nazies en Europe de l’Est durant la guerre aurait constitué une gifle magistrale à l’égard de Moscou et exacerbé des relations déjà difficiles.
Angela Merkel a donc décidé de ne se rendre dans la capitale russe que dimanche, au lendemain du défilé militaire devant le Kremlin, où elle déposera une gerbe de fleurs avec Vladimir Poutine sur la tombe du Soldat inconnu. L’Allemagne veut ainsi assumer sa responsabilité devant l’histoire sans servir de caution au régime russe actuel et à sa politique en Ukraine.
Responsabilité
Lors des commémorations de la libération du camp de concentration de Dachau les 2 et 3 mai, Angela Merkel avait rappelé la nécessité pour l’Allemagne d’assumer sa responsabilité face à son lourd passé et de ne pas tirer un trait comme certains le réclament sur cette histoire si pesante.
Le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier s’est beaucoup démené ces derniers temps sur ces dossiers. Il a inauguré une exposition au musée de l’histoire allemande à Berlin sur la façon dont la fin de la guerre a été vécue et perçue dans différents pays européens.
Le ministre a tenu un discours lors de l’anniversaire samedi dernier de la capitulation de la ville de Berlin, quelques jours avant celle du Troisième Reich, déclarant : « Il nous revient peut-être plus qu’à d’autres la responsabilité de maintenir un ordre international, nous dont le nationalisme débridé a plongé le monde dans le chaos ». Mercredi 6 mai, Steinmeier s’est rendu à Volgograd, l’ancienne Stalingrad, où ont eu lieu les combats les plus terribles mais aussi les plus décisifs durant la Seconde Guerre mondiale entre l’Armée rouge et la Wehrmacht.
Sacrifices
Ce souci de ne pas se dérober face au poids du passé malgré les tensions actuelles avec Moscou a aussi été illustré mercredi par le président de la République Joachim Gauck. Lui aussi boude les cérémonies dans la capitale russe, mais il s’est rendu dans un ancien camp où avaient été internés des soldats de l’Armée rouge prisonniers de l’Allemagne durant la guerre. Par ce geste, Joachim Gauck a rappelé un aspect peu connu et peu thématisé de ce sombre passé : les conditions de détention inhumaines infligées par le régime nazi à ces soldats, contrairement aux principes du droit international.
Sur les cinq millions de prisonniers soviétiques, plus de la moitié n’ont pas survécu, laissés à leur triste sort, souvent sans nourriture et sans soins. L’opposition au Parlement allemand a d’ailleurs demandé que des indemnisations soient enfin versées aux derniers survivants estimés à 2 000 aujourd’hui. Le geste du président Gauck est d’autant plus méritoire que son père, soldat de la Wehrmacht, a été fait prisonnier en Union soviétique et ne rentra comme beaucoup que bien après la guerre, en 1955, après avoir également enduré de très difficiles conditions de vie.
Les responsables allemands, malgré la crise actuelle qui oppose leur pays à la Russie sur le dossier ukrainien, se sont inclinés devant les sacrifices de l’Armée rouge, ont rappelé les crimes commis par les forces allemandes contre les soldats ennemis mais aussi contre les civils à l’Est, rappelant que sans l’URSS, la guerre n’aurait pas pris le tournant qu’elle a connu et que l’Allemagne n’aurait pas pu être libérée aussi vite du joug nazi.
Les commémorations officielles en Allemagne restent le 8 mai, le jour de la capitulation nazie, des plus modestes. Comme chaque année, une sobre cérémonie aura lieu ce vendredi au Bundestag. Pour la première fois depuis plusieurs décennies, ni le chef du gouvernement, ni le président de la République ne prendront la parole, mais un historien. Soixante-dix ans après la fin de la guerre, ce passage de relais à une personne chargée de travailler sur la mémoire marque peut-être une césure alors que les acteurs de l’époque comme leurs descendants immédiats ne sont plus très nombreux ou plus aux commandes.
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■ 8 mai 1945: une capitulation en deux temps
La Seconde Guerre mondiale a donc pris fin, officiellement, le 8 mai 1945, à 23h01 heure allemande. Un jour plutôt, le 7 mai, l'Allemagne nazie avait signé à Reims, sa capitulation sans conditions. C'était un acte purement militaire, signé par un maréchal allemand, Alfred Jodl, en présence de deux généraux américains dont le général Eisenhower, d'un général soviétique et un général français.
Les journalistes occidentaux répandent rapidement la nouvelle de la capitulation, alors que des combats continuent encore sur le front de l'Est. Furieux, Staline, le leader du Kremlin, exige que la capitulation de l'Allemagne soit signée à Berlin, où l'Armée rouge règne en maître.
Une nouvelle signature a lieu donc le 8 mai à 23h16, heure occidentale, mais il est minuit passé de 16 minutes, heure de Moscou et c'est pour cela que l'Union soviétique et ses alliés de l'Est, à l'époque du communisme, puis aujourd'hui encore la Russie, commémorent la victoire sur l'Allemagne nazie le 9 mai.