De notre correspondante à Madrid,
Le ministre espagnol de la Justice, Rafaël Català, avait émis l’idée de sanctionner les médias qui révèlent des informations confidentielles sur des enquêtes judiciaires en cours, et d’en interdire leur publication. Pour calmer la polémique, il a du rétropédaler et mettre de l’eau dans son vin. Il parle désormais « d’ouvrir un débat » sur ce sujet, afin « d’éviter les jugements parallèles » par voie presse.
Mais même la seule éventualité d’ouvrir ce débat a déclenché un rejet général dans la société espagnole. Après quarante ans de dictature franquiste, lors desquelles la censure était le maître mot, les Espagnols ont fait de la liberté d’expression une règle d’or. Il faut avoir cet héritage historique à l’esprit pour comprendre la réaction de la Fédération de la presse, qui a aussitôt émis un communiqué pour exprimer son refus « absolu » à tout changement de la loi.
Rodrigo Rato, ex-mentor d'Aznar, inculpé pour blanchiment
Le gouvernement présidé par Mariano Rajoy affirme pour sa part vouloir défendre le principe présomption d’innocence, au moment où, justement, de nombreux hauts dirigeants politiques espagnols, et notamment du Parti populaire, sont impliqués dans des scandales de corruption. Et c’est le moment choisi qui a le plus choqué dans cette proposition. Les Espagnols ont l’impression que l’exécutif veut protéger les siens, ceux qui sont soumis en examen, en proposant une loi qui interdit de révéler les scandales de corruption.
Derniers de ces hauts dirigeants rattrapés par la justice, outre le trésorier du Parti populaire, il y a en effet l’ancien directeur du FMI, Rodrigo Rato. Mentor économique de l’ex-président José Maria Aznar, il est considéré comme le constructeur du « miracle économique » espagnol. Aujourd’hui il est inculpé d’escroquerie, de fraude fiscale et de blanchiment d’argent.
Une affaire qui fait tache en cette année électoralement chargée et dont le Parti populaire se serait bien passé. En perte de vitesse dans les sondages, le parti de droite espagnol cherche à s’en protéger. Plusieurs lois promulguées ou votées récemment renforcent les limites imparties à la liberté de la presse.
La «Loi Bâillon»
Il y a notamment la loi sur la sécurité citoyenne, qualifiée de «Loi bâillon», adoptée fin mars grâce à la majorité absolue des députés conservateurs au Parlement espagnol, qui doit entrer en vigueur le 1er juillet. L’article 26 de cette loi prévoit d’infliger de lourdes amendes - entre 600 et 30 000 euros - aux journalistes qui prennent des photos ou enregistrent des images des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions dans l’espace public.
L’objectif est d’éviter les images de policiers qui chargent durant les manifestations. Des images largement utilisées par les associations de défense des droits de l’homme pour dénoncer la répression. Pour la Fédération espagnole des journalistes et le Syndicat des journalistes, cette loi est considérée comme « la pire atteinte aux libertés fondamentales et notamment d’information et d’expression en Espagne depuis la fin de la dictature ».