Mikhail Fedotov plaide pour «la déradicalisation de la société russe»

Depuis un an que la guerre a commencé en Ukraine et que la Crimée a été annexée, la société russe connaît un mouvement de repli sur soi et un développement du nationalisme. Ces phénomènes inquiètent le Conseil présidentiel pour les droits humains et la société civile. Cette instance, créée en 1993, est chargée de conseiller le chef de l’Etat en matière de droits de l'homme et de respects des libertés publiques. Le président de cette instance, Mikhaïl Fedotov, dit ses inquiétudes devant les nombreux signes d’une radicalisation de la société civile russe.

RFI : Que pensez-vous des évolutions récentes que l’on observe dans la société russe ?

Mikhail Fedotov : Pour moi, la radicalisation des esprits constitue un très grand danger. La radicalisation ne favorise jamais la pacification et la stabilisation de la société, elle ne favorise pas la réalisation des droits humains. Je dirais que les droits de l’homme en sont la première victime. Notre loi contre l’extrémisme est faite de telle façon que des actions très diverses peuvent être considérées comme extrémistes, et notamment des actions qui sont très loin de la violence.

On peut dire que ces lois n’atteignent pas leur cible. Elles n’atteignent pas les extrémistes, elles frappent les gens respectueux des lois, les activistes de la société civile, qui défendent les droits de l’homme, qui défendent la nature. Et cela s’explique par le fait que les lois sont très mal faites.

En janvier, Les Echos évoquaient une « idéologie forteresse assiégée » pour décrire la Russie. Vous-même, vous avez mis en garde contre le nationalisme et la crainte de l'étranger. Avez-vous des inquiétudes à ce sujet ?

Cette image d’une forteresse assiégée est liée, justement, à la radicalisation de la société et des esprits. Et c’est pour cela que, lors de notre rencontre avec le président Poutine, en octobre dernier, nous avons évoqué la nécessité de la démilitarisation, de la déradicalisation de la société. Nous avons parlé de la guerre dans l’Ukraine voisine.

Mais les guerres, comme vous le savez, sont contagieuses. Et pour nous, il est important que cette guerre ne franchisse pas la frontière avec la Russie. Les guerres commencent dans la tête des gens. L’image de la forteresse assiégée signifie que nous sommes entourés d’ennemis, et donc que l’on doit se mobiliser. Mais pour quoi faire ? Pour se battre ? Mais si personne ne nous attaque, on va faire la guerre contre nous-mêmes ? C’est très dangereux.

Certaines ONG sont déclarées « agent de l'étranger » en Russie. Voyez-vous, à travers, cette mesure une volonté des autorités de contrôler la société civile ?

Cette loi sur les agents de l’étranger vise à identifier les ONG impliquées dans les activités politiques qui sont financées par l’étranger. Mais la loi est écrite de telle façon que n’importe quoi peut être considéré comme une activité politique.

Quand cette loi était encore en discussion, le conseil a donné un avis négatif et a proposé une série d’amendements. Le président a manifesté plusieurs fois son accord avec nous. Mais pour l’instant, malheureusement, ça n’a pas été mis en pratique.

Vous récemment rencontré la pilote ukrainienne Nadia Savtchenko, qui est incarcérée à Moscou, où elle est en grève de la faim depuis plus de 80 jours. Comment vous l'avez trouvée ? Avez-vous des informations sur une éventuelle modification de ses conditions de détentions ?

Nous avons déjà rencontré Nadejda Savtchenko plusieurs fois depuis qu’elle est en grève de la faim. Nous sommes tout d’abord préoccupés par son état de santé. Nous veillons à ce qu’elle reçoive des médicaments et la nourriture nécessaire pour la maintenir en vie.
Je dois vous faire remarquer que Nadia Savtchenko ne cherche pas à être graciée ou amnistiée. Non, elle espère que le procès aura lieu le plus vite possible, et qu'il prouvera qu’elle n’est pas impliquée dans le meurtre des journalistes russes.

Le groupe média ATR, la chaîne de télévision des Tatars de Crimée, a été contraint de cesser d’émettre le 1er avril dernier, après le refus des autorités de l'enregistrer en tant que média. Vous inquiétez-vous pour la liberté d'expression en Crimée, et en Russie en général ?

Pour moi c’était un signal très inquiétant quand j’ai appris que, sur quelques milliers de médias en Crimée, il n’y en a que 252 qui ont réussi à s’enregistrer conformément à la législation russe. Notre Conseil s’est adressé à l’instance de régulation des médias pour demander des explications et pour aider la chaîne ATR dans cette procédure.

Avez-vous l'impression que le Conseil présidentiel pour les droits humains et la société civile est écouté ? Qu'il sert à quelque chose ?

Nos recommandations ne sont pas un simple bout de papier. Je ne peux pas vous dire que les autorités sont toujours d’accord avec nous, non. C’est loin d’être le cas. Mais ils les étudient toujours et nous répondent de façon argumentée.

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