Une petite fille avec de longs cheveux marron tient dans sa main droite l’Ours d’or et essuie de l’autre ses larmes. « Je ne peux rien dire ; je suis trop émue ». La nièce du réalisateur Jafar Panahi a reçu des mains du président du jury le réalisateur américain Darren Aronofsky le trophée principal du festival du film de Berlin. La petite fille est venue à Berlin avec la femme de Jafar Panahi en lieu et place de ce dernier frappé dans son pays par une interdiction de travailler et de voyager.
« Les contraintes obligent souvent les conteurs à faire du meilleur travail, mais ces limites peuvent parfois être si oppressantes qu’elles détruisent un projet ou abîment l’âme de l’artiste » a déclaré lors de la remise de l’Ours d’or le président du jury ajoutant : « Plutôt que de laisser détruire son esprit et d’abandonner, plutôt que de se laisser envahir par la frustration et la colère, Jafar Panahi a écrit une lettre d’amour au cinéma. »
Le cinéma et des subterfuges
Ne pouvant travailler officiellement, le réalisateur en est réduit à des subterfuges. Le réalisateur au volant d’un taxi se déplace dans Téhéran et effectue des courses pour une douzaine de clients avec lesquels il parle de la censure, de la répression, mais aussi de l’amitié ou de la loyauté. Deux petites caméras filment les dialogues. Son film faisait partie des favoris pour l’Ours d’or, la récompense principale du festival du film de Berlin où le film a été envoyé de façon clandestine.
Jafar Panahi entretient une relation étroite avec la Berlinale. En 2011, il devait être membre du jury, mais les autorités iraniennes ne l’ont pas laissé quitter le pays. Il avait été arrêté en 2010 alors qu’il préparait un film sur les manifestations contre la réélection contestée du président Ahmadinejad en juin 2009. Quelques mois après sa non-participation au jury de la Berlinale symbolisée par une chaise vide, une condamnation lui interdit durant vingt ans d’exercer son métier et de voyager. En 2013, son film Le Rideau fermé tourné dans une villa éloignée de Téhéran recevait à Berlin un Ours d’argent pour le meilleur scénario.
« Le cinéma, c’est la raison d’être de ma vie »
Dans un message envoyé avant la remise de l’ours d’or pour Taxi, Jafar Panahi déclare « le cinéma, c’est l’expression et la raison d’être de ma vie » assurant qu’il continuera à faire des films « dans toutes les circonstances ». Le directeur de la Berlinale Dieter Kosslick a affirmé qu’il continuerait à inviter le réalisateur iranien jusqu’à ce qu’il soit enfin autorisé à se rendre à Berlin. La ministre de la Culture allemande Monika Grütters a salué le symbole politique que représente également cette récompense : « C’est parfois l’art qui permet de créer des ponts là où la diplomatie et la politique atteignent leurs limites ».
Les contributions sud-américaines
Si le film asiatique avait été à l’honneur l’an dernier avec quatre récompenses sur huit, c’est pour cette 65e édition du Festival du film de Berlin que les contributions sud-américaines ont reçu plusieurs récompenses. Le Chilien Patricio Guzman a obtenu l’Ours d’argent du Meilleur scénario pour Le bouton de nacre, le seul documentaire qui figurait en compétition. Le film est consacré à l’histoire sanglante du Chili depuis l’élimination des peuples indigènes jusqu’aux crimes de la dictature Pinochet. Un autre Chilien a été récompensé, Pablo Larrain, qui a reçu le Grand prix du jury pour Le Club, une œuvre thématisant les crimes pédophiles de l’Église catholique. Enfin, pour sa première participation au festival de Berlin, le cinéma guatémaltèque décroche le prix Alfred Bauer qui récompense chaque année « un film qui ouvre de nouvelles perspectives » ; son lauréat Jayro Bustamente présentait à la Berlinale son premier film Ixcanul.
Charlotte Rampling et Tom Courtenay
Les deux Ours d’argent pour les Meilleurs interprètes féminin et masculin récompensent deux Britanniques chevronnés, Charlotte Rampling et Tom Courtenay, à l’affiche du film très apprécié durant le festival 45 Years sur un couple vieillissant qui s’apprête à fêter 45 années de vie commune lorsqu’un événement vient faire vaciller leurs certitudes. « Mon père était à Berlin en 1936 et il a gagné une médaille aux Jeux olympiques. Je suis assez fixée sur les prix et je voulais aussi décrocher quelque chose à Berlin pour reprendre le flambeau. Me voilà » a déclaré Charlotte Rampling.