RFI : Aujourd’hui c’est de Bruxelles que vous travaillez dans le domaine du renseignement. Est-ce qu’on a des informations sur le profil de ces suspects ?
Claude Moniquet : La seule chose que l’on sait, c’est qu’un certain nombre d’entre eux revenaient de Syrie, avaient passé un certain temps en Syrie où ils avaient été formés et entraînés. On connaît le type d’attentats qu’ils préparaient, qui étaient des attentats particulièrement sanglants contre la police, des assassinats de policiers dans la rue ou dans des commissariats de police. Et on sait qu’ils étaient sur le point de passer à l’acte. Au moment de l’arrestation, il leur restait probablement quelques heures avant le passage à l’acte. Donc on peut penser que les premiers attentats auraient eu lieu ce vendredi matin.
Toutes ces informations avaient été recueillies avant l’opération de jeudi et non pas en interrogeant justement les suspects ?
Absolument. C’est pour ça aussi qu’on peut dire qu’il n’y a pas de lien avec Paris. Après on verra si l’enquête fait apparaître des liens. On n'est qu’au début de la deuxième phase de l’enquête, la phase d’exploitation de ce qui a été saisi et de l’interrogatoire. On verra donc si les suspects se connaissaient, connaissaient les auteurs des attentats de Paris, s’il y avait une coordination dans le temps, etc. Mais l’enquête qui a abouti hier à cette opération est une enquête qui a commencé il y a plusieurs mois, un travail de renseignements qui s’est concrétisé au fil du temps, qui s’est intensifié ces dernières semaines et qui a permis, grâce à des moyens particuliers d’investigations et d’enquêtes, de mettre au jour non seulement le complot des terroristes, mais aussi d’exposer l’identité des terroristes opérationnels, et aussi des membres de la cellule logistique qui les soutenaient. Et c’est l’ensemble de cette mouvance qui a été mise hors d’état de nuire jeudi soir.
Ce qui a été dit jeudi à Bruxelles, c’est que les attentats de Paris ont en quelque sorte provoqué les choses et ont fait accélérer les initiatives de la police.
Non, c’est faux. Ça s’est dit effectivement, mais c’est faux.
C’est une déclaration qui a été entendue hier.
C’est une déclaration qui a été entendue, mais qui est fausse. La police aurait pu passer à l’action il y a une semaine ou dans deux ou trois jours. La doctrine dans ce genre d’opération, c’est attendre le plus longtemps possible pour obtenir le maximum de renseignements et d’identifications possible. Et la seule chose qui a fait que la police est passée à l’action hier soir, c’est le fait qu’un renseignement humain obtenu dans la journée d’hier - je parle bien de la journée d’hier, aux alentours de midi pour être précis -, a permis de savoir que le passage à l’acte était imminent. Donc à ce moment-là, l'opération devait être menée, sinon elle aurait pu être menée dans plusieurs jours.
Que sait-on aujourd’hui plus précisément de ces filières jihadistes qui sont implantées en Belgique de retour de Syrie ou d’Irak ?
La Belgique est un des pays, comme la France, comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, tous les pays européens, qui a un gros problème avec le jihad syrien dans le sens où un grand nombre de Belges - entre 400 et 600 -, ont été en Syrie, sont en Syrie, ou ont eu le projet d’y aller. Et on enregistre encore plusieurs départs par semaine, comme d’ailleurs en France. Ces gens sont particulièrement dangereux parce qu’une grande partie d’entre eux a un profil qui est quand même plutôt un profil de psychopathe, un profil de gens qui ne sont pas très idéologisés, qui ont souvent été radicalisés de manière assez hâtive et qui ont surtout plus qu’une démarche intellectuelle d’adhésion au califat et à l’islamisme radical. Ils sont animés par une revanche, une espèce de nécessité de se venger de la société qui, pensent-ils, les a maltraités. Ce sont des gens que cette charge de haine rend particulièrement dangereux.
Le niveau d’alerte a été également relevé dans le royaume à une échelle maximum. Est-ce que ça veut dire qu’aujourd’hui les Belges vont vivre un petit peu ce qui se connait ces derniers temps à Paris : des militaires partout dans la rue, la police beaucoup plus visible ?
Ce n’est pas tout à fait le niveau maximum, on est à trois sur quatre. On est à l’avant-dernier niveau, ce qui est très important. On était à deux jusqu’à hier 17h30. En l’occurrence, on parlait de militaires dans la rue et c’est effectivement quelque chose auquel les Belges ne sont pas du tout habitués, mais qu’ils pourraient voir parce que le gouvernement semble sur le point d’adopter une mesure, qui serait du genre Vigipirate et qui viserait à renforcer les effectifs de police par l’armée, donc à mettre beaucoup plus de bleu et en l’occurrence de kaki dans la rue de manière à saturer certains espaces publics et être très dissuasifs par rapport aux terroristes potentiels.
La police était visée, c’est ce que l’on semble dire aujourd’hui. Il y avait eu en mai 2014 l’attentat conte le musée juif de Bruxelles. Cela veut-il dire aujourd’hui que ce sont quand même les mêmes cibles que celles qui ont été frappées la semaine dernière à Paris ?
Ce sont les mêmes cibles que celles qui ont été frappées à Paris la semaine dernière effectivement. Ce sont les mêmes cibles qui ont été frappées au Canada, à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Ottawa fin octobre, début novembre. On a essayé de les frapper à New York. La police avait été attaquée par un islamiste un peu dérangé, mais un islamiste en tout cas qui avait voulu partir en Syrie, qui s’était précipité sur les policiers avec une hache. La police, c’est à la fois un symbole de l’Etat comme l’armée, donc c’est pour cela qu’on l’attaque. Et pour ces jeunes dont on parlait qui ont ces comptes à régler, c’est aussi le symbole un peu de leurs propres problèmes. Et ils ont le plus souvent - en tout cas ceux qui sont déjà passés par la case prison - une haine particulière pour la police.