Avec notre correspondant à Istanbul, Jérôme Bastion
Le bilan des violentes manifestations de mardi a été officiellement arrêté à 24 victimes mortelles, essentiellement dans le sud-est du pays à majorité kurde. Mercredi, malgré l’état d’urgence instauré dans six provinces kurdes proches de la frontière, des rassemblements et affrontements se sont reproduits.
Des banques, des supermarchés, des bureaux de poste, des permanences du parti AK au pouvoir, des sous-préfectures, des centres culturels, des mairies et parfois des commissariats de police ont été tous brûlés.
Malgré le couvre-feu instauré dans le sud-est, les rassemblements se sont multipliés mercredi, avec leur lot de barricades et d’affrontements avec les forces de sécurité, et aussi souvent de pillages. Seules les expéditions punitives et les heurts entre factions politiques rivales ont pu être dans l’ensemble évitées.
Les médias comptabilisent tout de même au moins trois nouveaux morts sur l’ensemble du pays. L’interdiction de sortir dans les rues, bien que très peu respectée, a été reconduite de 24 heures dans la plupart des cas. Les manifestations pourraient se poursuivre ce jeudi. Il y a déjà des appels à la mobilisation.
« Le régime syrien responsable », selon le Premier ministre turc
Le Premier ministre avait réuni mercredi un cabinet restreint consacré à la sécurité. Le mini-sommet a duré plus de trois heures, et bizarrement il n’a été suivi d’aucun communiqué annonçant des mesures précises. Ahmet Davutoglu a juste promis le retour à l’ordre « dans les plus brefs délais ». Il a aussi critiqué le parti pro-kurde HDP, à l’origine de l’appel à la mobilisation lundi soir, pour son attitude « irresponsable ».
Pour le chef du gouvernement, la communauté internationale est également critiquable pour avoir laissé impuni le régime syrien alors qu’il porte une lourde responsabilité dans la déstabilisation de la région.
Aucune mesure particulière n'a donc été prise. Mais l’état d’urgence avec interdiction de sortir dans les rues, bien que très peu respectée, a été reconduite de 24 heures dans la plupart des provinces dans le sud-est.
■ TÉMOIGNAGE
Il vit à Mardine, près de la frontière syrienne, une ville turque où se succèdent les obsèques des combattants kurdes tués par les jihadistes de l’organisation de l’Etat islamique, de l'autre côté de la frontière. Depuis plusieurs jours, le sociologue Mehmet Kurt, Kurde de Turquie, observe les manifestations parfois violentes qui secouent sa région, majoritairement kurde.
« Généralement, elles commencent dans la soirée. Et cela dure jusqu'à 2 ou 3 heures du matin. On peut encore voir les traces des affrontements d'hier soir. Les manifestants ont détruit de nombreux bâtiments publics et des supermarchés dans le quartier. Ils ont aussi détruit des caméras de sécurité et ils en ont dispersé les restes. C'est un quartier dans lequel la police n'entre pas, pour des raisons de sécurité. Il y a aussi le fait que les corps de quinze combattants kurdes tués à Kobane ont été rapatriés ici, à Mardine, hier soir. Certains étaient originaires de ce quartiers ou d'autres endroits de la ville. Alors, cela a accru l'intensité des manifestations. »
« Les Kurdes sont très en colère, poursuit Mehmet Kurt. Ils sont en colère contre la communauté internationale qui n'en fait pas assez pour protéger Kobane et ils sont encore plus en colère contre la Turquie qui en gros ne fait rien du tout. La Turquie a tendance à considérer que la situation de Kobane n'est pas liée à la question kurde en Turquie, dit le sociologue. Mais la vérité est toute autre : Kobane est proche de la frontière turque et les gens ont beaucoup de liens avec Kobane. »
Pour lui, la situation à Kobane met en péril le processus de paix entamé ces dernières années entre le pouvoir turc et la rébellion kurde de ce pays.