Federica Mogherini, botte secrète de la nouvelle diplomatie de l’UE

Nommée chef de la diplomatie de l’Union européenne le 30 août dernier à l'unanimité moins une voix, l’Italienne Federica Mogherini arrive avec un certain bagage malgré ses 41 ans. Soupçonnée d’être russophile, elle a clarifié sa position et veut mettre ses compétences au service d’une fonction ingrate et compliquée.

Avec sa bonne bouille, ce visage ovale mi-Mona Lisa, mi-Hillary Clinton période Little Rock, Arkansas, la nouvelle chef de la diplomatie européenne Federica Mogherini est cataloguée comme la novice du nouveau triumvirat des Vingt-Huit, derrière le président de la Commission, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, et le président du Conseil, le Polonais Donald Tusk. Agée de quarante-et-un ans, soit quinze de moins que sa devancière Catherine Ashton, cette Romaine polyglotte (elle parle couramment anglais, maîtrise bien le français et possède de bonnes notions d’espagnol) a toutefois quelques crédits à faire valoir, même si son expérience reste pour le moment assez limitée, aux yeux de certains.

Une nomination de compromis
 

Imaginez, on exagère à peine, Luc Carvounas ou Jean-Marc Germain (tous deux secrétaires nationaux du Parti socialiste français pour les affaires extérieures, au cas où vous vous poseriez la question), catapultés presque du jour au lendemain Haut représentant pour la politique extérieure et la sécurité de l’Union européenne (le titre exact de Mme Mogherini) et avouez que la surprise serait de taille pour à peu près tout le monde, de l’Atlantique à l’Oural. Mais « qu’importe ! », se sont dit les dirigeants européens, conscients ou non qu’il serait de toutes façons difficile de faire pire que Catherine Ashton, précurseuse dans ce rôle ingrat mais quand même abondamment critiquée tout au long de son mandat, commencé en 2009.

L’UE voulait donc du sang neuf, de préférence une femme (seulement cinq commissaires sur ving-huit sont des femmes dans l’actuelle gouvernance) mais également maintenir certains équilibres (Juncker et Tusk sont de centre-droit et le Parti démocrate de Federica Mogherini de centre-gauche). Et puis aussi faire plaisir à Matteo Renzi, le sémillant président du Conseil italien, qui n’a pas ménagé sa peine pour pousser la candidature de sa protégée à un poste que briguaient également la Bulgare Kristalina Georgieva, commissaire européenne aux questions humanitaires et le Suédois Carl Bildt, ministre des Affaires étrangères de son pays. Résultat : Mme Mogherini a été désignée à l’unanimité moins une voix, celle de la présidente lituanienne Dalia Grybauskaite, qui a préféré s’abstenir, on verra plus loin pourquoi.

« Federica Mogherini à la tête de la Politique étrangère européenne, c’est une belle reconnaissance pour l’Italie. Elle représente le nouveau visage de ces jeunes élus de l’Union européenne », a aussitôt appuyé Matteo Renzi qui, à trente-neuf ans et demi révolus, parlait évidemment un peu de lui aussi. Soutenue, entre autres, par François Hollande, celle qui n’aura fait qu’un très court passage, six mois, à la tête du ministère italien des Affaires étrangères, tiendra donc désormais le rôle de « Lady Pesc », Pesc pour « Politique étrangère et de sécurité commune ». Ces six mois au ministère, elle les a mis à profit pour voyager beaucoup, notamment dans quelques points chauds de la planète comme la Palestine, l’Egypte, la Jordanie, l’Ukraine et la Russie.

Génération Erasmus

Fille d’un père décorateur et costumier de cinéma, la nouvelle chef de la diplomatie européenne aurait pu se laisser tenter par la dolce vita. Bosseuse, elle a mené la plus grande partie de ses études dans sa Rome natale mais n’a jamais cédé à la facilité. Son cursus a d’ailleurs été entrecoupé d’un passage par l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe d’Aix-en-Provence, dans le cadre du programme d’échange universitaire Erasmus. C’est là qu’elle a peaufiné son français ainsi que son mémoire de fin d’études, consacré aux rapports entre religion et politique dans les pays islamiques.

Elle se destine évidemment déjà à la politique, un parcours commencé par un très bref passage, à 13 ans, au mouvement des Jeunes communistes, puis poursuivi chez les Démocrates de gauche, parti qui s’est, depuis, fondu dans le Parti démocrate tout court (PD), en 2007. C’est cette année-là que Walter Veltroni, alors maire de Rome et dirigeant influent du parti, la nomme au comité exécutif du PD. Impressionné par sa sobriété, son sérieux et sa connaissance des dossiers, Veltroni l’aide ensuite à devenir députée en 2008. La carrière politique de Federica Mogherini, mariée en chemin à Matteo Rebesani, lui-même chargé des relations internationales de la Ville Eternelle et père de ses deux filles, est définitivement lancée.

Spécialisée dans les questions internationales au sein du PD, et membre des commissions des Affaires étrangères et de la Défense au sein du Parlement, elle gagne la confiance de Matteo Renzi qui lui confie donc en février dernier, à la surprise de beaucoup, le ministère des Affaires étrangères, où elle succède à une autre femme, l’expérimentée Emma Bonino. « Elle est représentative du gouvernement Renzi qui a voulu " envoyer à la casse " toute la vieille garde politique pour donner une image de nouveauté. Il ne faut pas oublier que l’Italie sort de 20 ans de Berlusconi », déclarait ce dimanche sur RFI Anna Maria Merlo Poli, la correspondante à Paris du quotidien Il Manifesto.

Si l’accession de Mme Mogherini au poste de ministre s’est finalement déroulée sans trop de remous malgré son manque de notoriété dans la Botte, sa nomination au poste de « Lady Pesc » a fait l’objet d’intenses tractations. Clairement, les pays de l’Est de l’Europe ne voulaient pas d’elle. « Elle est trop proche de la Russie », estimait notamment Dalia Grybauskaite, la seule à ne pas lui avoir accordé son vote le 30 août dernier, si vous suivez bien, la présidente lituanienne la jugeant carrément « pro-Kremlin ». Cette défiance se manifestait en réalité à l’égard de l’Italie toute entière qui est, d’assez loin et depuis fort longtemps, le deuxième partenaire commercial en Europe de la Russie, derrière l’Allemagne.

Premier dossier brûlant : l’Ukraine

Profitant opportunément de la présidence italienne du Conseil de l’UE jusqu’à la fin de l’année, Federica Mogherini a mis les choses au point, dès ses premiers pas sur la scène européenne, bien obligée d’ailleurs au regard de la gravité de la crise en Ukraine. « Poutine n'a jamais respecté les engagements qu'il a pris en plusieurs occasions, à Genève, en Normandie, à Berlin », a-t-elle déclaré pour calmer tout le monde quant à sa supposée allégeance à Moscou. « Prorusse ou antirusse ? Je dirais ceci, a-t-elle ajouté : la vraie question est comment nous soutenons l'Ukraine aujourd'hui », précisant dans un entretien accordé au Corriere della Sera que Poutine n'était pas « un partenaire diplomatique fiable »et que « le Kremlin était seul responsable des sanctions économiques qui affectaient la Russie ».

Donner plus d’épaisseur à son rôle, telle sera en réalité la tâche la plus compliquée, et pour ainsi dire impossible qu’aura à mener Mme Mogherini durant les cinq ans de son mandat qui prend officiellement effet le 1er novembre. « Je pense qu'elle a la capacité de bien faire, du moins si on lui en laisse la possibilité, car il ne faut pas oublier que ce sont toujours les Etats membres qui ont le dernier mot », rappelait sur la chaîne franco-allemande Arte, Marco Zatterin, le correspondant à Bruxelles du journal italien La Stampa.

En attendant, l’arrivée à Bruxelles de la blonde romaine est une source de fierté pour une Italie post-berlusconienne avide de donner une nouvelle image dans le concert international. « Sa nomination a été accueillie comme une victoire sportive, presque comme un but dans un match de foot,  avec la Une de tous les journaux, à gauche comme à droite, et un consensus assez unanime », confiait sur RFI Anaïs Ginori, la correspondante du quotidien La Repubblica à Paris. Si les affaires européennes deviennent maintenant aussi sacrées que le foot en Italie, alors tous les espoirs sont permis.

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