Après plus de dix ans de pouvoir, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, toujours combatif, reste le favori des sondages qui le donnent gagnant au premier tour de scrutin. Jean Marcou, professeur à l’Université de Grenoble et principal contributeur au blog de l’Observatoire de la vie politique turque (Ovipot.com), souligne que Recep Tayyip Erdogan reste le pilier du système politique turc, dominé par la formation islamo-conservatrice AKP. Il a marginalisé ses adversaires, mis au pas l’armée et aussi « fait le ménage » dans son propre camp, notamment à travers les purges contre la confrérie Gülen.
Une fois Erdogan élu président de la République au suffrage universel, le système politique turc devrait se « présidentialiser », en prenant la forme soit d’un système semi-présidentiel à la française, soit d’un système entièrement présidentiel, à condition qu’une modification de la Constitution puisse avoir lieu.
Ekmeleddin Ihsanoglu, candidat d'une coalition hétéroclite
Ekmeleddin Ihsanoglu, principal concurrent d’Erdogan, a plaidé quant à lui pour le maintien du système parlementaire actuel. Par ailleurs, comme le fait remarquer Jean Marcou, il est issu de la formation AKP du Premier ministre, avec lequel il n’a pris ses distances que l’année dernière, au moment de la crise égyptienne. Ekmeleddin Ihsanoglu représente une coalition hétéroclite, à la fois les nationalistes, les ultranationalistes et les républicains kémalistes, les héritiers politiques du père de la nation turque moderne, Mustafa Kemal Atatürk.
Le candidat kurde Selahattin Demirtas porteur d’espoir
La véritable révélation de cette élection présidentielle est le candidat kurde Selahattin Demirtas, soutenu également par des petits partis de gauche. Selon Ahmet Insel, professeur à l’Université d’Istanbul, Demirtas est non seulement jeune et photogénique, mais il défend aussi de manière très convaincante le principe d’égalité entre les différentes identités ethniques turques et kurdes, entre les hommes et les femmes, ainsi que sur le plan social. Il incarne aussi l’esprit qui a émergé pendant les manifestations du parc Gezi, à Istanbul, dirigées contre la corruption du pouvoir. Pour peu que Selahattin Demirtas arrive à obtenir davantage que les 6 à 6,5% des suffrages qu’obtiennent généralement les candidats kurdes, il pourra incarner une gauche moderne, ouverte et démocrate pour la décennie à venir.
Des ambitions jusqu’en 2023 pour Recep Tayyip Erdogan
Si la victoire annoncée du Premier ministre se confirme dans les urnes, l’un des enjeux politiques à venir sera le fonctionnement du nouveau système « présidentialisé ». Il s’agit surtout de savoir si une opposition et des contre-pouvoirs pourront exister. L’homme fort de la Turquie se projette déjà en 2023 et veut, pour le centenaire de la République, que son pays devienne l’une des dix premières puissances économiques mondiales.
Le futur président turc devra s’efforcer également d’apporter une solution politique à la question kurde sur le plan interne. Au niveau régional il lui faudra combattre l’instabilité qui se propage à ses frontières, notamment en Syrie et en Irak.