Avec nos envoyés spéciaux à Bruxelles, Piotr Moszynski et Florent Guignard
Ce vendredi, les observateurs de la vie politique européenne n'auront pas seulement l'œil rivé sur l'est de l'Ukraine, où la journée s'annonce décisive. Ils seront également attentifs aux déclarations émanant de Bruxelles. Les vingt-huit dirigeants de l'UE doivent y annoncer ce vendredi la nomination du nouveau président de la Commission européenne.
Le Premier ministre britannique David Cameron s’achemine visiblement vers une importante défaite politique. Dans son combat contre Jean-Claude Juncker, le candidat des conservateurs européens - qui ont gagné les élections du 25 mai dernier -, David Cameron a été finalement lâché par presque tous ses soutiens. Ces derniers se sont laissé convaincre par les sympathisants du Luxembourgeois, notamment par la chancelière allemande Angela Merkel.
Mais la culture institutionnelle européenne est basée sur le compromis et le consensus : la même Angela Merkel a donc estimé qu’il fallait accorder des concessions dans d’autres domaines à David Cameron. Cela afin de ne pas humilier le Britannique, et surtout, afin de le décourager de s’opposer systématiquement au nouveau chef de la Commission durant son mandat.
D'autres nominations dans la balance
Quelles concessions pourraient être faites ? Le choix est riche, dans la mesure où les Vingt-Huit devront décider de nombreuses autres importantes nominations dans les prochaines semaines. Il leur faudra trouver un nouveau président du Conseil, un nouveau chef de la diplomatie, ainsi que les noms des 27 membres restants de la Commission européenne. Les Britanniques veulent un poste économique important à la Commission. Ils ne sont pas les seuls, mais le besoin de compensation après l’échec de la campagne de David Cameron contre Jean-Claude Juncker pourrait devenir un argument politique fort en leur faveur.
Les nominations ne sont pas le seul domaine de compromis possible. Les Vingt-Huit discuteront aussi des grandes orientations des politiques européennes pour les années à venir ; des aménagements conformes aux attentes de Londres seront donc sans doute également envisagés.
Après la décision du Conseil, la nomination de Jean-Claude Juncker devra être avalisée par le Parlement. Malgré le quasi consensus autour du Luxembourgeois, David Cameron pourrait réclamer un vote : il en a besoin vis-à-vis de son opinion publique.
La « réorientation » des politiques européennes, priorité des Français
La France, elle, est d’accord pour soutenir Jean-Claude Juncker, mais à certaines conditions. La position de François Hollande : la réorientation des politiques européennes est plus importante que les questions de personnes. Au dîner des Vingt-Huit qui s’est tenu jeudi soir, l’Elysée l’assure : ce n’est pas Jean-Claude Juncker qui a été le sujet de conversation principal, mais des questions de « fond ».
Sur ces grandes orientations, les priorités défendues par les sociaux-démocrates européens sont claires : la croissance, l’emploi, la jeunesse, l’énergie, et l’industrie. Pour défendre sa ligne, le président français pourrait souligner auprès de ses homologues l’augmentation du chômage en France.
L’autre tâche du Conseil est de montrer qu’il est capable de tenir compte du message des élections européennes, un message de défiance. Y parviendra-t-il ? Les sherpas - les négociateurs des présidents et Premiers ministres - ont travaillé tard hier soir sur la version finale du texte qui sera adopté ce vendredi. Un proche de François Hollande l’assure : « Sur les grands axes, on s’y retrouve. »
Souplesse sur les critères de convergence
Reste, enfin, une question essentielle : la souplesse réclamée par de nombreux pays, dont la France, à propos de l’application de la règle qui interdit aux Etats membres un déficit supérieur à 3 % de leur produit intérieur brut. Un conseiller de François Hollande observait, jeudi soir : « Il faut autoriser les respirations qui permettent les réformes ». L’idée est qu'il ne sert à rien de faire des réformes et des économies, si c’est pour casser la croissance. Les pays qui plaident pour une certaine flexibilité pourront faire valoir que l’Allemagne, pour faire ses réformes, en 2003, avait bien profité de la souplesse de ses partenaires.
La France ne demande pas le laxisme absolu ; elle tient à respecter ses engagements. Mais en cas de coup dur, l’Elysée l’assure : « On laissera glisser les déficits, on n’en remettra pas une couche niveau impôts ». C’est le message, très clair, que l’Elysée souhaite adresser aussi aux Français.
Accord avec l'Ukraine
La désignation de Jean-Claude Juncker ne sera pas le seul sujet à alimenter les discussions entre chefs d'États et de gouvernement réunis à Bruxelles : l'Ukraine en fera également certainement partie. En plus de suivre avec attention la situation à l'est du pays, où le cessez-le-feu pourrait être prolongé si de nouvelles négociations entre Kiev et les séparatistes pro-russes aboutissent, les dirigeants de l'Union devraient évoquer l'accord d'association signé ce vendredi matin par Petro Porochenko.
L'accord signé par le président ukrainien accord prévoit notamment de supprimer l'essentiel des barrières douanières entre l'Ukraine et les pays de l'UE. Il est d'autant plus symbolique pour le chef d'Etat que la vague de protestations qui l'a porté à la tête de l'Ukraine a été déclenchée par l'opposition du précédent président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, à cet accord.