Avec notre correspondant à Madrid, François Musseau
Hier soir, quelques heures, après l'annonce de l'abdication du roi, d'importantes manifestations ont éclaté dans le pays en faveur de la République. Il s'agit surtout de militants de gauche, en particulier du nouveau parti Podemos, qui réclame un référendum sur le futur régime : le maintien de la monarchie ou le retour à la république qui avait été interrompue en 1936 par le coup d'Etat du général Franco.
Même s'ils étaient des milliers, ces protestations paraissent toutefois trop faibles pour inquiéter la décision du gouvernement, celle de couronner le prince des Asturies, futur Felipe VI.
Quant à la presse espagnole, elle est majoritairement satisfaite. Evidemment, le quotidien monarchiste ABC, regrette que le monarque bourbon n'ait pas abdiqué l'an dernier, lorsque la monarchie était déjà mal en point, éclaboussé par divers scandales. Le quotidien de référence El Pais souligne l'importance historique du roi, « le meilleur de histoire espagnole ». Quant à El Mundo, il insiste sur l'importance d'abdiquer en faveur d'un prince comme Felipe, jeune, cultivé, intelligent, très modéré. Le journal parle même d'une deuxième transition où le nouveau monarque aura fort à faire pour redorer le blason dune monarchie très écornée.
Un roi sauveteur
L'abdication du roi Juan Carlos ne laisse vraiment aucun Espagnol indifférent. Beaucoup y voient un changement d'époque, une page de l'histoire récente qui se tourne, celle de l'Espagne démocratique. Chez les plus âgés, c'est le sentiment de reconnaissance qui prévaut. C'est le cas de José Prada, hôtelier à la retraite : « Pour moi, il a une immense valeur car il aura été le meilleur ambassadeur de l'Espagne. Il aura sauvé nore démocratie. Mais il vieillissait, il a bien fait d'abdiquer. »
Le roi sauveteur de la démocratie a empêché un coup d'Etat militaire en février 1981. Ce souvenir est gravé dans les mémoires ibériques. Il incarne les immenses mérites du monarque éclairé qu'aura été Juan Carlos. Ses récents faux-pas - sa chasse à l'éléphant au Bostwana en 2012, les scandales de corruption qui éclaboussent sa famille depuis trois ans - ne terniront que partiellement l'image qu'il laissera dans les livres d'histoire.
Mais de leur côté, les républicains voudraient bien un changement de régime. Alex, directeur d'une agence de publicité, estime qu'« en Espagne, peu à peu, on finit par isoler tous les pouvoirs gouvernementaux, qu'ils soient politiques ou issus de la noblesse ». Alex voudrait que la famille royale disparaisse, qu'elle perde le pouvoir.
Pourtant, parmi les jeunes générations, beaucoup ont l'image d'un prince héritier moderne, non corrompu, grand amateur de technologie et de vitesse. Sauf grosse surprise, c'est lui qui accèdera au trône d'ici la fin du mois.
La classe politique salue la « trajectoire » et la lucidité du roi
Dans la classe politique, les hommages à Juan Carlos se sont multipliés. Parmi eux, celui de Jesus Posada (Parti populaire), le président du Congrès :
« Pour tous les Espagnols, pour l'Espagne, je crois que le meilleur instrument que nous avons eu ces dernières années a été celui qui a donné une vraie force au nom Espagne, à la démocratie, à la Constitution. Pour tous, et pour moi-même, je le dis avec mon coeur : c'est une énorme perte. Mais, comme je l'ai également dit au roi, je suis convaincu que le prince Felipe poursuivra ce rôle extraordinaire que le roi a tenu pour l'Espagne, et que nous aurons un roi à la hauteur de son père. »
Pour Enrique Baron Crespo, socialiste et député constituant en 1977,ancien président du Parlement européen), l'abdication de Juan Carlos est « un geste de responsabilité. Il a aaccompli sa tâche historique. Je crois que le moment était venu, et il l'a expliqué d'un point de vue personnel et politique. Je salue sa trajectoire, son courage. Nous sommes en train de vivre une crise qui n'est pas seulement économique. Il arrive un moment où les sociétés s'interrogent sur leur présent et leur avenir. Le roi même l'a dit, le moment de la relève générationnelle est arrivé. »