Avec notre correspondant à Istanbul, Jérôme Bastion
A Istanbul, les interpellations auraient atteint 200 personnes, et il y a eu des dizaines de blessés.
Pas question de laisser le moindre rassemblement se tenir ni dans le parc Gezi, ni même sur la place Taksim : les autorités avaient prévenu que l’anniversaire des manifestations de juin 2013 ne serait pas célébré. Au grand dam de Mücella Yapici, animatrice de la Plateforme Solidarité Taksim, qui était à l’origine de la mobilisation de l’an dernier : « Nous réclamons que le parc Gezi et la place Taksim restent ouverts à la population, sans qu’aucun nouveau projet immobilier n’y soit réalisé, et que tous les espaces verts, les places et les rues du pays soient libres d’accès. »
Peine perdue : des milliers de policiers ont verrouillé la place, puis brutalement dispersé les manifestants, parmi lesquels Mahmut Tanal, député de l’opposition social démocrate et membre de la commission parlementaire des droits de l’homme : « Regardez, les forces de sécurité lancent l’assaut. Est-ce cela les droits de l’homme ? Les forces de l’ordre affrontent la population en pleine rue. Est-ce qu’on peut parler là de droits de l’homme, de liberté ? C’est bien, au contraire, ce qu’on peut appeler un régime autoritaire et dictatorial ! »
A coups de canons à eau, de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogènes, la grande avenue piétonne a rapidement été débarrassée, et la chasse aux manifestants s’est poursuivie dans les quartiers alentours, sous les sifflets et dans un concert de casseroles de la population.
Auparavant, un groupe de contestataires avait allumé des bougies et lâché des pigeons au parc Guven, où un homme de 26 ans, Ethem Sarisuluk, avait été tué d'une balle dans la tête par la police l'année dernière.
En fin de nuit, le calme est revenu, mais sans doute pas pour très longtemps.
25 000 policiers
Quelques heures à peine avant la manifestation à Istanbul à l'appel d'un collectif d'ONG, de syndicats et de membres de la société civile, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan avait averti que les forces de l'ordre feraient « tout ce qui est nécessaire, de A jusqu'à Z » pour l'empêcher. « Vous ne pourrez pas occuper Taksim comme vous l'avez fait l'an dernier parce que vous devez respecter la loi », avait-il ajouté devant des milliers de partisans.
Dès les premières heures de la matinée, des milliers de policiers en tenue antiémeute ou en civil avaient investi le quartier de l'emblématique place stambouliote, point de départ de la révolte de 2013 et déclarée zone interdite à la contestation. Les autorités ont mobilisé plus de 25 000 hommes et une cinquantaine de canons à eau à Istanbul pour contrer les manifestants.
C'est dans ce petit jardin public de Gezi, au coeur de la partie européenne de la plus grande ville de Turquie, qu'est née la vague de contestation ayant pour la première fois fait trembler sur ses bases le régime de M. Erdogan, qui règne sans partage sur son pays depuis 2003.