Dans l'est de l'Ukraine, les séparatistes pro-russes occupent toujours des bâtiments publics dans de nombreuses villes. A Slaviansk, alors que l'ultimatum fixé par les autorités à 6h00 du matin (TU) est arrivé à expiration, les séparatistes pro-russes n'ont pas bougé d'un iota. Ils contrôlent toujours le siège de la police et un bâtiment local des services de sécurité, qu'ils avaient pris d'assaut samedi.
Mieux : ils se sont emparés ce lundi après-midi des sièges de la police et de la municipalité de Horlivka, sans faire de blessé, en plus des bâtiments officiels pris dans le week-end à Marioupol, ou encore Kramatorsk. Horlivka, c'est une localité de 250 000 habitants environ, située à 40 kilomètres au nord-est de Donetsk. Sur place, notre envoyé spécial Damien Simonart relate :
« Une centaine d'hommes et de femmes, à l'évidence des civils, se sont installés dans les locaux de la municipalité restés intacts, après avoir forcé son chef à démissionner. Le drapeau ukrainien a été remplacé par celui de la République autonome du Donbass, dont Donetsk est la capitale. »
« A quelques kilomètres de là, le siège de la police a été attaqué par des hommes relativement jeunes, non armés mais à la carrure militaire, précise notre confrère. Certains d'entre eux, bien qu'ils se déclaraient citoyens de Horlivka, portaient d'ailleurs des uniformes de l'armée. »
« Les séparatistes, qui ont cassé toutes les fenêtres du commissariat et construit une barricade de pneus devant le bâtiment, ont justifié l'attaque par la présence supposée de partisans du mouvement nationaliste " secteur droit " dans la ville. A la municipalité comme au siège de la police, les assaillants ont néanmoins affirmé qu'ils ne voulaient pas d'une guerre en Ukraine. »
En dépit de nouvelles déclarations annonçant l'entrée en action imminente des forces ukrainiennes, celles-ci ne sont, semble-t-il, pas encore intervenues. Le président Olexandre Tourtchinov a même évoqué, pour la première fois, l'idée d'un référendum national sur le fédéralisme, qui pourrait intervenir le jour de l'élection présidentielle, le 25 mai. Un tel scrutin entérinerait selon lui l'attachement des Ukrainiens à l'unité nationale et à l'indépendance de leur pays.
Depuis son indépendance, il y a 25 ans, l'Ukraine est en effet divisée. D'un côté, sa partie occidentale se défie de Moscou. En face, l'Ukraine orientale entretient des liens très forts avec le voisin russe. Dans un pays en faillite, où l’essentiel de l’activité économique est dépendante de la Russie - notamment pour la fourniture du gaz -, il est finalement impossible d’écarter les pro-russes, qui réclament un référendum d’autodétermination, ou du moins des négociations sur l’avenir de l’Ukraine.
S’exprimer dans les urnes sur ces questions serait donc un moyen de calmer le jeu. Le gouvernement ukrainien par intérim tente de trouver un juste milieu, entre le scénario criméen et la guerre civile.
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En réalité, Kiev semble avoir le plus grand mal à reprendre le contrôle de la situation dans les provinces de l’est. L'Ukraine se trouve sous la menace militaire russe : 40 000 soldats attendraient à la frontière selon des images satellites occidentales. Une intervention de l’armée russe aurait des conséquences si dramatiques dans toute la région qu’elle est difficilement imaginable.
Moscou, de son côté, dénonce l'hypocrisie des Occidentaux vis-à-vis des dirigeants ukrainiens. Le président Poutine a fait savoir qu'il recevait de nombreux appels à l'aide en provenance de l'est du pays, et qu'il observe avec une « grande inquiétude » l'évolution de la situation sur place. Quant à son ministre des Affaires étrangères, il ferraille dans les médias contre la position des Occidentaux.
« Nous n'intervenons pas dans les affaires intérieures de l'Ukraine, cela est contraire à nos intérêts, martèle M. Lavrov. Là-bas, il n'y a pas d'agent russe ; ni des services de renseignement GRU, ni des services de sécurité FSB. Nous avons été critiqués comme si ce n'était pas le cas. Le secrétaire d'Etat américain John Kerry et le ministre ukrainien des Affaires étrangères Andreï Dechtchitsa m'ont dit qu'un suspect aurait été arrêté. Je leur ai répondu : " Si vous avez arrêté quelqu'un, montrez-le ! " Mais pour une raison inconnue, ils ne le font pas. »
Et de conclure : « La Russie n'a pas intérêt à détériorer la situation en Ukraine. Elle est intéressée à ce que l'Ukraine soit unie et que tous les groupes nationaux et ethniques du pays, et toutes les régions sans exception, se sentent chez eux dans leur propre pays. »
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Dimanche, lors d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité des Nations unies à New York, la Russie et les Occidentaux ont affiché, une fois de plus, leur désaccord criant sur l'Ukraine. Ce lundi, la France et le Royaume-Uni ont condamné très fermement les violences dans l'est du pays, dans un communiqué commun diffusé à l'issue d'un entretien téléphonique entre François Hollande et David Cameron. M. Hollande a également discuté avec son homologue américain Barack Obama.
Les Etats-Unis et l'Union européenne vont prêter 1 milliard chacun aux autorités de Kiev, en euros pour l'UE, en dollars pour Washington. Londres se dit prêt à de nouvelles sanctions contre des responsables russes. L'Allemagne, elle, dénonce les nombreux signes de soutien de Moscou aux insurgés. Alors que les ministres des Affaires étrangères des Vingt-Huit se réunissaient à Luxembourg à la mi-journée, le chef de la diplomatie belge Didier Reynders a appelé à une « désescalade » dans l'Est ukrainien.
Derrière l'unité de façade, comme l'explique notre envoyé spécial Pierre Bénazet qui était ce lundi à Luxembourg pour la réunion des Vingt-Huit, « trouver une position commune sur l'Ukraine représente toujours un casse-tête pour les Européens ». Des débats du jour à Luxembourg, il ressort néanmoins que les ministres des Affaires étrangères de l'Union privilégieront jusqu'au bout la voie diplomatique.
La réunion euro-américano-russe de Genève, avec les Ukrainiens, est au centre de toutes les préoccupations. D'ici sa tenue jeudi, les Européens font tout pour éviter de donner à la Russie un prétexte pouvant l'amener à annuler la venue de M. Lavrov, voire à favoriser l'intensification des troubles en Ukraine. Sur ce dernier point, les Vingt-Huit affirment clairement que la Russie a une part de responsabilité. Certains vont même jusqu'à dire que, comme en Crimée, des militaires russes se trouveraient déjà en Ukraine.
En cas de résultat négatif à Genève, la possibilité d'un sommet européen extraordinaire a été évoquée, en particulier par Laurent Fabius. Il pourrait avoir lieu la semaine prochaine. Il serait alors question de lancer une « phase 3 » des sanctions pour frapper plus durement la Russie. d'ores et déjà, l'Union pourrait annoncer dans les jours à venir les noms inclus dans une liste élargie de personnes sanctionnées par un gel de leurs avoirs ou une interdiction de visa. Pour l'heure, la liste non-élargie comprend déjà 33 noms de personnalités, dont des proches du président Poutine.
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■ ANALYSE : Pourquoi l'Ukraine choisit-elle de hausser le ton maintenant ?
Pour Mathieu Boulègue, chercheur à l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), la menace russe est « ce que le président par intérim Olexandre Tourtchinov a appelé la seconde vague de déstabilisation ».
Mathieu Boulègue : « Autant la question de la Crimée a été relativement unanime - on n’a pas voulu se lancer dans une opération contre la Russie -, autant là, l’implication de Moscou étant relativement plus floue, on ne sait pas exactement quelle est la part de vrai ou de faux là-dedans. Les autorités de Kiev montrent à Moscou qu’elles ne vont sûrement pas se laisser faire à l’approche de l’élection présidentielle, et ne surtout pas laisser encore une partie du territoire ukrainien sous contrôle de la Russie. »
S'il lui parait peu probable que les Etats-Unis et la Russie se lancent dans un conflit et sacrifient leurs relations pour l’Ukraine, le chercheur considère que « Moscou va continuer à faire pression jusqu’à l’élection présidentielle pour essayer d’obtenir des concessions ».