Inquiétude des Tatars sur le rattachement de la Crimée à la Russie

En Crimée, l’enthousiasme du camp pro-russe contraste avec le désarroi et l’inquiétude des partisans de l’Ukraine, deux jours après le plébiscite en faveur du rattachement à la Russie. Parmi ces partisans de l’Ukraine, on trouve bien sûr la communauté tatare, 12% de la population. Les Tatars ont pour la plupart boycotté le référendum de dimanche et ils s’interrogent à présent sur leur avenir au sein de cette nouvelle Crimée, en voie d’être rattachée à la Russie.

Avec nos envoyés spéciaux en Crimée,

C’est l’un des restaurants tatars les plus réputés de Simféropol. Sur les murs, des gravures ouzbèkes et un poster représentant les plus grandes mosquées d’Istanbul. Derrière son comptoir, le patron regarde, l’air inquiet, la télévision tatare, à l’affût de la moindre nouvelle portant sur le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie. « Nous ne savons pas ce qui va se passer, explique-t-il. Nous ne savons pas ce qu’ils vont faire de nous. Le rattachement se fera peut-être demain, peut-être plus tard… ou peut-être pas, si l’Ukraine, les Etats-Unis et l’Otan interviennent. Mais ça m’étonnerait qu'ils le fassent. »

Sur l’écran, un dirigeant de la commutauté tatare lance un énième appel au calme. Dans un coin, un jeune étudiant hausse les épaules. Pour lui, la communauté tatare devrait dès maintenant se préparer au pire : « Si nous devons nous lever et nous défendre, nous le ferons. Pour le moment, nous nous contentons de faire de la politique et j’espère que nous pourrons éviter les violences. Mais s’il le faut, nous protégerons notre terre ».

Déportés par Staline, puis revenus au début des années 1990, les Tatars se considèrent comme les plus anciens habitants de Crimée. L'exil n’est donc pas envisageable à leurs yeux. Contrairement aux Ukrainiens de souche qui sont nombreux à envisager de quitter la Crimée plutôt que de vivre sous domination russe.

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Le scénario de l'annexion ukrainienne

Il y a quelques années, Valdimir Poutine s'était emporté en remarquant que l'Ukraine n'était pas un Etat mais un territoire, remarque Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l'institut Thomas Moore. « Ce que l'on craint, analyse-t-il, c'est que l'affaire de la Crimée ne soit pas le point d'arrivée de la politique de Poutine mais le point de départ et qu'il veuille aller plus loin en Ukraine orientale et en Ukraine méridionale. »

Des scénarios envisagent même que Moscou poursuivent l'effort « jusqu'à Odessa et au-delà » pour tenter de réaliser une jonction territoriale jusqu'à la Transnitrie, en Moldavie. « Ce que l'on veut montrer, sur un plan politique, c'est qu'il n'est pas question de laisser tomber l'Ukraine et qu'elle doit avoir son statut réhaussé dans tout le système des relations avec d'un côté l'Occident et de l'autre cet Etat ukrainien, estime Jean-Sylvestre Mongrenier. Au niveau de l'Union européenne, cela passe par ce que l'on appelle le partenariat oriental et plus précisemment un accord d'association entre l'Ukraine et l'UE. Au niveau de l'Otan, cela peut impliquer une volonté d'étendre la coopération avec l'Ukraine, même si elle n'est pas membre. »

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