Pour Renzi, l'Italie et la France doivent «changer l'Europe ensemble»

Matteo Renzi a été reçu ce samedi 15 mars par François Hollande à l’Elysée. Le nouveau chef du gouvernement italien a affirmé que la France et l'Italie devaient « changer l'Europe ensemble », lors d'une conférence de presse avec le président français. Matteo Renzi a présenté cette semaine des mesures chocs pour relancer la croissance dans son pays qui sort à peine de la récession. Entretien avec Jacques Le Cacheux, économiste à l’OFCE, l’Observatoire français des conjonctures économiques et professeur d’économie à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.

RFI : C’est la mesure qui fait le plus de bruit en Italie. Matteo Renzi, pour doper l’économie, a annoncé une baisse de l’impôt sur le revenu pour 10 millions de personnes, ce qui va coûter à l’Etat la bagatelle de 10 milliards d’euros. Est-ce que c’est un pari fou ou raisonnable ?

Jacques Le Cacheux : C’est un pari raisonnable si on considère la situation économique italienne actuelle, qui est caractérisée par une croissance économique extrêmement faible après deux années de récession et sur le plus long terme d’ailleurs, une croissance très faible depuis plus de dix ans maintenant. Mais c'est un pari qui n’est pas sans risque notamment par rapport aux règles européennes.

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Alors justement, Matteo Renzi dit qu’il veut réduire les impôts, mais aussi les taxes sur le travail, baisser le coût de l’énergie pour les entreprises, le tout sans augmenter les dépenses publiques. Est-ce que c’est crédible, comment va-t-il faire ?

Je pense qu’il a quand même annoncé qu’il allait un peu couper dans les finances publiques, parce que le grand problème de l’Italie -  à part justement la très faible croissance depuis déjà de nombreuses années et donc le chômage très élevé aussi -  c’est que l’Italie a une dette publique parmi les plus élevées d’Europe et que du coup elle est très étroitement surveillée par la Commission européenne dans le cadre des règles sur les déficits budgétaires.

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Mais couper dans les dépenses publiques, l’abolition du Sénat par exemple, la mise en vente des voitures de fonction des ministères, est-ce que ça suffira ?

Je ne pense pas, non. Déjà l’abolition du Sénat, ça ne va pas se faire en quelques semaines. On voit bien que les plans de réduction des dépenses publiques, ça peut éventuellement avoir un effet perceptible au bout de quelques années, mais rarement immédiatement. En revanche, je pense que le pari de Renzi, et c’est sans doute aussi un peu pour ça qu’il est à Paris aujourd’hui, c’est que la Commission européenne considère avec bienveillance ce petit accroc au pacte de responsabilité.

Un pacte de stabilité envers lequel Matteo Renzi a eu des mots très durs cette semaine puisqu’il a parlé de « pacte de stupidité ».

Oui, c’est un peu de la provocation, sans doute. Mais en même temps, je rappelle quand même que le premier à avoir utilisé cette expression, c’était Romano Prodi, quand il était président de la Commission européenne en 2000 ou 2001. Il avait dit : « Le pacte de stabilité est stupide ». Donc ce n’est pas une nouveauté. Evidemment qu'il y a beaucoup de gens, et notamment beaucoup d’économistes, qui considèrent que cette règle-là est assez stupide, et surtout si elle est appliquée de façon rigide, dans des périodes comme la période actuelle, où l’activité économique est très faible en Europe et où le chômage est très élevé dans beaucoup de pays européens. On se souvient que François Hollande, même si il n’avait pas utilisé les mêmes termes au moment de son élection, avait eu à peu près le même genre de discours, le même genre de démarche.

Oui, mais il a reculé ensuite.

Le problème après, c'est : est-ce qu’on est en mesure de faire plier la Commission européenne et, derrière la Commission européenne, évidemment le gouvernement allemand ?

Matteo Renzi va être reçu lundi à Berlin. Est-ce qu’il a les moyens de s’opposer à ce qu’il appelle une Europe de « techniciens sans âme » ?

La question c'est : est-ce qu’au fond, la coalition franco-italienne peut faire bouger les choses ? Parce qu’après tout, le gouvernement français est engagé dans une démarche pas exactement semblable, mais d’une certaine façon dans un pari du même genre puisqu'avec le pacte de responsabilité en France, on veut faire baisser de 30 milliards les charges sur les entreprises et on annonce une baisse des dépenses publiques, mais qui peut-être ne suffira pas pour empêcher une petite augmentation du déficit budgétaire. Donc, ce sont là les deux plus grands pays après l’Allemagne, les deux plus grands pays de la zone euro qui, au fond, essaient de forcer la main au gouvernement allemand et à la Commission.

Donc on pourrait voir la naissance d’un axe Paris-Rome face à Angela Merkel ?

Oui. D’une certaine façon, c’était déjà un peu le pari qui n’a pas marché jusqu’à maintenant du gouvernement français. Alors maintenant qu’il y a un nouveau gouvernement en Italie, on peut espérer ça. Il faut aussi rappeler qu’en Allemagne, il y a un nouveau gouvernement et avec une grande coalition. Et la grande coalition a un programme de gouvernement qui est quand même plus européen et plus favorable à une plus grande souplesse en Europe que le précédent gouvernement dirigé aussi par Merkel.

Donc on pourrait voir bouger les lignes en matière d’austérité...

Ce n’est pas impossible. Je pense quand même qu’il y a une conjonction d’éléments qui pourrait plaider en faveur de ça. Je ne vous dis pas que ça se fera, parce que les Allemands sont quand même très réticents à assouplir les règles budgétaires européennes, mais cela se fera peut-être dans le cadre d'une négociation. Madame Merkel a parlé de pacte en disant que dans une stratégie du donnant-donnant, on veut bien être un peu plus souple si les pays s’engagent à faire des réformes. C’est peut-être de ce côté-là qu’il y aura quelque chose.

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