A Simferopol, les russophones divisés sur l’avenir de la Crimée

Le référendum du 16 mars continue de diviser les Criméens. Au sein de la communauté russophone, certains se disent favorables au rattachement à la Russie, ils tiennent désormais le haut du pavé, et contrôlent tous les leviers politiques de la péninsule. Mais d’autres se disent souvent perplexes et même inquiets face au projet séparatiste.

Avec nos envoyés spéciaux à Simferopol, Daniel Vallot et Richard Riffonneau

Ils sont russophones, pro-russes et bien souvent nostalgiques de l’Union soviétique. Dans le camp pro-russe, c’est la frange la plus radicale de la mouvance séparatiste qui s’est emparée du pouvoir le 27 février, dans la confusion qui a suivi la chute de Vitkor Ianoukovitch. Et ce sont ces militants jusqu’au-boutistes que l’on retrouve, la plupart du temps, dans les rassemblements pro-russes et parmi ces milices « d’auto-défense » qui entourent désormais, les bâtiments publics de Crimée. « Pour moi, la Crimée n’a rien à voir avec l’Europe ou avec l’Ukraine, explique Anna, la cinquantaine, un ruban aux couleurs du drapeau russe dans les cheveux. Et depuis la fin de l’Union soviétique j’ai l’impression de vivre en territoire occupé… Je sais que ça peut paraître excessif de dire ça, mais c’est ce que je pense ».

Pour les militants pro-russes les plus radicaux, la Crimée pouvait rester au sein de l’Ukraine tant que celle-ci faisait partie de l’Union soviétique, et qu’elle se trouvait de facto dans l’orbite politique de la Russie. A partir de 1991, et de l’effondrement de l’URSS, les séparatistes de Crimée ont donc commencé à donner de la voix, sans trouver un écho réel au sein de la population. C’est la Révolution orange, en 2004, puis celle de Maïdan, dix ans plus tard, qui a donné un nouvel élan au projet de rattachement à la Russie. « Moi j’ai peur de ce qui s’est passé à Kiev, avec la révolution de Maidan, raconte Tatiana, venue manifester devant le Parlement avec un groupe d’amis. Et ici en Crimée, nous ne voulons pas de Maïdan : ils veulent nous empêcher de parler russe, d’avoir la télé en russe. La Russie, nous lui avons demandé de nous aider : nous sommes très contents qu’elle soit intervenue, et qu’elle prenne en main le destin de la Crimée ! ».

« Vivre dans un pays libre »

Mais tous les russophones de Crimée ne souhaitent pas quitter l’Ukraine, bien au contraire. Dès que l’on s’éloigne des rassemblements pro-russes, c’est un discours bien différent que l’on entend dans les rues de Simferopol. Un discours prudent, timide souvent, car les milices pro-russes qui se sont emparées de la rue depuis le 27 février effraient nombre d’habitants de Simferopol. Couronnes de fleurs dans les cheveux, drapeau ukrainien autour des épaules, Natalia refuse, elle, de se laisser impressionner. « Moi, je suis une russophone de Crimée, et je veux vivre dans une Ukraine libre. Je crois qu’avec ce qui s’est passé à Maïdan, nous avons la possibilité de bâtir une société démocratique. Mais avec la Russie, je ne pense pas que ce soit possible : je ne crois pas qu’en Russie nous aurions les mêmes droits et le même avenir ».

à (re)lire: Journée de manifestations en Ukraine

Avec l’appui de la minorité ukrainienne, et celui des Tatars de Crimée, farouchement opposés au rattachement à la Russie, les russophones pro-Ukraine s’estiment majoritaires au sein de la population de Crimée. Mais la plupart d’entre eux s’apprêtent à boycotter le référendum du 16 mars, ouvrant ainsi un boulevard à leurs adversaires pro-russes. « Ce référendum a été décidé par un Parlement qui n’a aucune légitimité politique, sous la pression des armes, explique Sergeï, rencontré dans un rassemblement pro-Ukraine. Y participer, ce serait gravissime, car cela reviendrait à dire que nous reconnaissons ce nouveau pouvoir, et la validité de ses décisions ». Le camp pro-Ukraine mise donc sur une abstention massive, le 16 mars prochain, pour ôter toute légitimité à ce référendum « illégal et illégitime ».

Partager :