Ukraine: «La réaction russe s'est fait attendre»

Quelle est aujourd’hui la stratégie de Vladimir Poutine en Ukraine ? Tatiana Kastueva Jean, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), livre à RFI des éléments de réponse. Elle ne croit pas du tout à l'hypothèse de la contagion.  

RFI : Moscou assure ne pas être derrière les troubles en Crimée, dit vouloir respecter les accords signés à Kiev et parallèlement mobilise ses troupes militaires à la frontière, envoie des émissaires en Crimée, accuse les nouveaux dirigeants ukrainiens d’être des extrémistes. Pourquoi cette politique du chaud et du froid ?

Tatiana Kastueva Jean : Oui, en effet, la réaction russe s’est fait attendre. On a attendu la fin des JO avant d’avoir les premières réactions et, depuis lundi, les pressions ne font que monter sur l’Ukraine. Et je pense que la Russie n’est pas au bout de ses capacités de faire pression sur ses pays voisins, avec les éventuelles sanctions commerciales, comme elle a pu déjà faire. Les menaces de couper ou de monter le prix de l’énergie, etc. Evidemment tout le monde a en tête un éventuel scénario de force, avec ces exercices militaires qui se passent à la frontière ukrainienne.

Les enjeux pour la Russie sont extrêmement importants. Il y a à la fois les enjeux internes, parce que la Russie craint par-dessus tout depuis 2004, depuis la « révolution orange », un scénario semblable sur son propre territoire. Donc, il y a clairement toute une guerre d’information aujourd’hui, qui est menée à destination de l’électorat en interne, pour montrer le chaos et la politique économique dans lequel est plongé le pays voisin.

Cette contagion de la contestation ukrainienne en Russie est-elle réellement envisageable, puisqu'on sait que Vladimir Poutine tient son pays d’une main de maître, répression et propagande sont monnaie courante ?

Je ne crois pas du tout à ce que ce soit possible en Russie en l’état actuel des choses. L’opposition est extrêmement affaiblie. Pas plus loin que ce vendredi matin, Alexeï Navalny, le leader en chef de l’opposition, a été assigné à résidence et mis offline. Donc, interdit pour lui de communiquer par Internet. Et les leaders de l’opposition ont toujours manqué d’intégrité et de cohérence dans les programmes qu’ils pouvaient proposer. Je pense que Vladimir Poutine peut se sentir hors de danger. Et, d’ailleurs, il n’a jamais été aussi haut dans les sondages en deux ans que ces derniers temps avec les JO et avec, paradoxalement, les images de l’Ukraine, qui jouent aussi en sa faveur. Il est quasiment aujourd’hui à 70% d’expression de confiance dans les sondages.

Alors qu’est-ce qui motive profondément Vladimir Poutine ?

J’ai commencé à vous parler des enjeux internes, mais il y aussi les enjeux régionaux. Il faut penser aux intérêts économiques russes, aux intérêts militaires, à la base militaire en Crimée et aussi à son projet de l’Union eurasienne qui aurait gagné en force et en échelle si l’Ukraine pouvait le rejoindre.

Pour le moment, il n’y a que le Kazakhstan et la Biélorussie qui ont accepté d’en faire partie.

Exactement, sous l’égide de la Russie. Et c’est une union qui devrait voir vraiment le jour en janvier 2015. Il y a aussi pour la Russie les enjeux globaux. C’est le rôle de grande puissance que la Russie entend jouer depuis les années 2000 sur la scène internationale. Et à ce titre d’ailleurs, un scénario d’intervention militaire pourrait la discréditer complètement. Et je pense que la Russie utilise les pressions sur l’Ukraine pour s’imposer comme le médiateur, peut-être même unique médiateur capable de garantir l’intégrité territoriale de ce pays.

Vous diriez aussi que Moscou teste à la fois la résistance du pouvoir à Kiev et la capacité de réaction des Européens et des Américains qui tardent quand même à réagir ?

Très clairement, c’est aussi le test pour la diplomatie européenne et pour la diplomatie de Barack Obama. Et jusqu’à présent, les Occidentaux ont toujours manqué de cohérence et de convictions sur le dossier ukrainien. Et Vladimir Poutine aurait tout intérêt à attendre la réaction des Occidentaux pour s’imposer par la suite.

Les pro-Russes en Ukraine sont nombreux à réclamer une partition du pays. Ce serait à l’avantage de Moscou ?

Je pense que ce ne serait pas à l’avantage de Moscou. La Crimée est plus intéressante en restant au sein de l’Ukraine, comme une carte que la Russie peut jouer, qu’en faisant partie intégrante de la Russie qui se mettrait de cette manière-là complètement au ban de la communauté internationale.

Quelle analyse faites-vous de l’accueil de Viktor Ianoukovitch sur le territoire russe ? L’ex-président n’a-t-il finalement été qu’un pion de Moscou ?

Je ne pense pas qu’il ait été un pion parce que sinon on aurait vu l’Ukraine déjà dans l’Union asiatique et on n’aurait pas vu tous ces événements-là. Je pense que Ianoukovitch a été pour la Russie un interlocuteur extrêmement difficile, qui a joué sur les deux tableaux à la fois, sur le tableau européen et sur le tableau russe. Et ça s’est avéré dangereux pour lui.

Partager :