Avec notre envoyée spéciale à Kiev, Anastasia Becchio
A Kiev, la place de l’Indépendance a des allures de camp retranché. On a monté des barricades pour bloquer tous les accès à cette place : des murs métalliques contre lesquels on a posé des planches, des palettes, des meubles. Des dizaines de tentes ont été installées. Les responsables de l’opposition ont appelé les manifestants pro-européens qui ont participé à la marche hier, à ne pas céder, à rester dans le centre tant que le président ne partira pas : « Nous devons nous mobiliser et ne pas perdre l’initiative » a ainsi expliqué hier le chef du parti libéral Oudar, le boxeur Vitali Klitschko aux manifestants.
« Humiliations »
Avec d’autres responsables politiques de l’opposition et des militants, Vitali Klitschko a passé la nuit dans un bâtiment qui donne sur la place de l’Indépendance, la maison des syndicats. Autre lieu où les manifestants ont trouvé refuge : la mairie, qui a été investie dimanche par des groupes de jeunes nationalistes. Des centaines de manifestants y ont passé la nuit, sur des matelas de fortune ou sur des chaises, comme cette dame, Valentina Kratchynska : « En partant à la manifestation ce matin mon fils m’a dit : "Mais tu comprends qu’il est possible qu’on ne revienne jamais à la maison". Bien sûr, il y a cette peur. Mais les humiliations que l’on subit, elles sont plus graves que tout ; et c’est pour ça qu’on est là. Vous comprenez ce que ça signifie pour une mère de dire ça à son fils ? »
Et la manifestante de continuer: « Ianoukovitch va tenter par tous les moyens de faire pression : je sais qu’il a 6 000 hommes extrêmement bien préparés, des policiers anti-émeutes, des soldats, uniquement à Kiev. Il ne faut pas oublier qu’il a une mentalité de criminel et il ne fera pas de concessions, et de toutes façons, il est trop tard. Il n’a qu’une seule méthode : la force, le sang et il tentera sans doute de l’utiliser ».
Echauffourées
La journée du 1er décembre a été émaillée de violences. Pas sur la place de l’Indépendance, mais à quelques centaines de mètres plus haut, dans le quartier gouvernemental. Il y a eu des échauffourées avec les policiers anti-émeutes qui y sont déployés. Les forces de l’ordre ont jeté des grenades assourdissantes, ont fait usage de gaz lacrymogènes et ont frappé à coup de matraque sans distinction. Au total, 165 personnes ont été blessées, selon les autorités de la ville, et parmi elles une trentaine de journalistes et de photographes. Ce lundi, l'opposition maintient la pression. Les appels à la grève générale se multiplient. Quelle sera maintenant la réaction des autorités ? Pour le moment, le chef de l’Etat observe le silence.
Pas encore de réaction officielle
Avec notre correspondant à Kiev, Sébastien Gobert
Jusqu'à présent, il n'y a aucune réaction officielle du pouvoir depuis l'occupation du bâtiment de la mairie de la capitale. Un seul commentaire – d’ailleurs parallèle à l’affaire - des cadres de la municipalité ont appelé les employés de la mairie à ne pas se rendre au travail aujourd'hui, indiquant que la situation pouvait perdurer.
Parmi les manifestants, ce silence inquiète plus qu'il ne rassure, et l'atmosphère est relativement tendue. La rumeur en vogue indique que le président Ianoukovitch a tenu une réunion d'urgence hier, dans sa somptueuse résidence au nord de Kiev. Rien n'en serait encore sorti.
Mais plusieurs scénarios circulent, dont l'instauration de l'état d'urgence, ce qui voudrait dire le recours à l'armée. La plupart des manifestants entend néanmoins rester jusqu'au bout, même s'ils ne font pas non plus vraiment confiance aux leaders de l'opposition. Jusqu'à présent, ceux-ci n'ont pas réussi à structurer le mouvement, ni à lui donner une direction claire.