RFI : En vingt ans de présence ininterrompue au Parlement, Berlusconi a été tour à tour adulé, lâché par ses alliés, puis à nouveau en première ligne, jusqu’à cette condamnation définitive pour fraude fiscale. Silvio Berlusconi a dit hier qu’il entendait continuer à peser sur la scène politique italienne. En a-t-il en a encore les moyens ?
Alberto Toscano : Oui, il en a les moyens, parce qu’il a beaucoup de sous, tout d’abord, et parce qu’il peut continuer à diriger son propre parti Forza Italia, en étant à l’extérieur du Parlement. Ceci dit, la tâche est de plus en plus difficile pour lui, parce que même s’il fait de la politique, il aura du mal à revenir au gouvernement. Il aura du mal à retrouver le pouvoir. Mais c’est le combat presque désespéré d’un homme qui n’arrête pas d’affirmer son innocence, même si les faits, les preuves et la détermination des juges montrent exactement le contraire.
Peut-on affirmer qu’avec cette déchéance, l’Italie tourne définitivement la page de l’ère Berlusconi ?
L’ère Berlusconi est en train de se terminer. La page est en train d’être tournée. Ce mercredi 27 novembre constitue certainement un moment fondamental dans ce processus. Mais ce processus sera encore long et la fin de l’ère Berlusconi, le crépuscule berlusconien peut durer encore des mois, voire des années.
Certains évoquent une arrivée en politique de l’une de ses filles. Cela vous paraît réaliste ?
Ça me paraît difficile, sincèrement. Marina Berlusconi ne veut pas entrer en politique. Elle est directrice générale, présidente du groupe d’édition de son père, Mondadori. Et Barbara Berlusconi est encore très jeune. Elle n’a aucune expérience politique. Les deux filles sont probablement destinées, au moins pour l’instant, à rester en dehors du leadership du parti créé par le père.
Berlusconi hors jeu, cela veut dire que ça laisse aussi le champ libre au gouvernement d’Enrico Letta. L’opinion publique italienne plébiscite-t-elle cette nouvelle ère ?
L’opinion publique italienne espère traverser une période de stabilité, de réformes, et de croissance économique, après une longue période de sacrifices très difficile à digérer. Évidemment, cela implique aussi une stabilité politique.
Le gouvernement Letta est aujourd’hui plus faible sur le terrain arithmétique, dans le sens où la sortie de Berlusconi et de son parti de la majorité du gouvernement, affaiblit le gouvernement. Mais il est plus fort sur le plan politique. Il n’est plus un gouvernement d’union nationale classique. C’est un gouvernement composé par des dissidents du berlusconisme, par des centristes et par la gauche modérée du Parti démocrate. Cette coalition peut encore rester au pouvoir pour quelques mois et peut-être même plus.
C’est un gouvernement, on l’a vu, qui a eu beaucoup de mal à émerger. En raison notamment de la percée du parti de Bepe Grillo, le Mouvement 5 Étoiles. Y a-t-il une figure, un homme, qui maintenant pourrait tenir le haut du pavé ?
Grillo est aujourd’hui très populaire en Italie, mais aussi il est très détesté par une grande partie de l’opinion publique italienne. Son discours est un discours de populisme classique, renouvelé par l’utilisation de nouvelles technologies informatiques.
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Pour donner une petite idée de ce que Grillo représente, il faut préciser que Marine Le Pen et ses conseillers sont en train d’étudier avec beaucoup d’attention son discours qui est, je le répète, d'un pur populisme. Il s'érige contre tous les partis politiques démocratiques qui ont créé la vie politique depuis des décennies.
Évidemment ces partis ont commis beaucoup de fautes. Mais on ne peut pas faire table rase d’un jour à l’autre de toute la politique traditionnelle, de toute la démocratie italienne.
Au-delà de Silvio Berlusconi, toutes les formations ont aussi changé de leader. Comment analysez-vous cela ?
L’Italie est en train de se renouveler sans aucun doute. L’opinion publique italienne perçoit un besoin de renouvellement. L’échéance la plus importante, de ce point de vue, est le 8 décembre, car il y aura les primaires du Parti démocrate, élargies aux sympathisants de ce parti de gauche, pour choisir le futur chef de la social-démocratie italienne. Et il s’agira sans doute d’un jeune parce que les trois candidats sont tous les trois jeunes, ou relativement jeunes par rapport aux traditions politiques nationales.
Un gouvernement dans son ensemble très jeune. Les femmes sont aussi de plus en plus présentes, avec 32% d’élues à la chambre des députés. Cela aussi c’est nouveau, dans un pays réputé machiste. Ont-elles les moyens de peser ?
Elles sont en train de peser. La présidente de la Chambre des députés est une femme, qui a toujours été considérée comme la porte-parole de la gauche radicale italienne, dans le secteur de la défense des droits de l’homme et de la lutte contre la xénophobie.
Les élections de février dernier que certains commentateurs de presse, y compris Français, ont considéré un peu trop hâtivement comme inutiles, ont laissé des traces importantes dans la vie politique italienne. Le Parlement italien aujourd’hui est renouvelé. Il y a beaucoup de jeunes, beaucoup de femmes.
Au gouvernement il y a pour la première fois de l’histoire nationale, une femme de couleur, madame Kyenge, qui est sans doute attaquée par les xénophobes, mais qui reste quand même à sa place.
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Mais cela se voit également dans la simple vie politique italienne, à commencer par la présidence du Conseil, occupée par monsieur Letta, un homme relativement jeune qui n’a pas 50 ans.
Dans l’ensemble du Parlement italien, il y a par conséquent comme un air de renouvellement. Évidemment ça ne suffit pas. Mais il y a quand même un désir de l’opinion publique, de changer des vieux visages, pour espérer dans une politique nouvelle.
Alberto Toscano est notamment l'auteur de « Ces gaffeurs qui nous gouvernent », publié chez Fayard.