L’histoire légendaire du cinéma yougoslave à l’affiche

Il était une fois la Yougoslavie, Cinema Komunisto, écrit et réalisé par Mila Turajlic, qui signe ici son premier documentaire, est actuellement projeté en salle à Paris. Un film qui permet de découvrir la place exceptionnelle du cinéma dans la société yougoslave sous le régime du Maréchal Tito. Quand une industrie du cinéma rêvait de rivaliser avec Hollywood…

« Voici l'histoire d'un pays qui n'existe plus », prévient la réalisatrice dont le film est empreint d'une immense nostalgie. En plongeant dans les archives du cinéma yougoslave, Mila Turajlic effeuille devant nous ce «vieil album de famille ». Tout respire une jeunesse épanouie : des hommes et des femmes, fiers de porter le képi ; un scooter bleu pâle qui s’élance sur une avenue propre et paisible ; un vélo sur une route de campagne paisible en plein été ; une blonde à couettes et robe à carreaux rouges qui sourit à la caméra…

Paradis perdu ? La République fédérale socialiste de Yougoslavie, dont l'existence fugitive a duré de 1945 à 1991, aurait bâti en grande partie son histoire légendaire grâce au cinéma. Telle est l'hypothèse avancée en tout cas dans ce film documentaire original. Preuves à l'appui. Ces éléments mettent aussi à nu les ficelles d’un régime autoritaire qui avait cependant permis d’unifier les pièces d’un puzzle aujourd’hui déchiré.

Créer un Hollywood de l'Est

Pour ce faire, le cinéma a été très vite indispensable au Maréchal Tito. Des archives d’actualité le montre en train d’être acclamé dans un stade « à la chinoise » par une foule aux couleurs alternatives - vert, rouge et blanc. Un autre extrait tiré d’un film de propagande nous fait apprécier un échange joyeux : « Quelle heure est-il ? » dit un partisan. « L’heure de la révolution ! », répond l’autre.A l’évidence, « la guerre est finie, mais la révolution continue. »

L’histoire de la construction de la Yougoslavie se confond avec celle du cinéma. A la fin de la Seconde-Guerre mondiale, le gouvernement communiste victorieux a sollicité l'aide des Russes pour construire une industrie nationale du cinéma. Slavica, le premier film yougoslave réalisé par Vjekoslav Afric, rend hommage, dans la pure lignée du cinéma soviétique, au combat des partisans. Puis en 1947, Tito crée les studios Avala film dans la banlieue de Belgrade : « les seconds en Europe après Cinecitta », indique Mila Turajlic. Cette cité du cinéma, construite par de jeunes volontaires, a pour ambition de créer un Hollywood de l'Est.

Un réalisateur en émerge, Veljko Bulajic, principal auteur des films partisans authentiques et de la construction du mythe fondateur de la Yougoslavie. Après la chute de Berlin, le message est le suivant : « Hitler kaput ! Tout sera gratuit dans la nouvelle Yougoslavie. Le pays entier sera heureux ». Unités de soldats ou de villageois : Bulajic a tout à disposition. Et le camarade Tito, toujours à l’image, peut à sa guise appeler aux armes au son du clairon... Une star voit aussi le jour, Bata Zivojinovic, issue de l’école de formation des acteurs. Sur la porte, un écriteau : « Si vous n’êtes pas certain d’être le meilleur, n’entrez pas ». A son actif¸ Bata a plus de 300 films. Un temps, sa popularité va jusqu’en Chine ! Il incarne à lui seul le héros partisan. Juste avant de mourir, les derniers mots d’Hitler n’auraient-ils pas été : « Tuez Bata Zivojinovic ! » On nage en plein fantasme.

Témoin privilégié de cet âge d’or, Leka Konstantinovic, le projectionniste personnel de Tito qui l’engage en 1949. La réalisatrice le filme en train de fleurir son tombeau monumental avec son nom gravé en lettres d’or. Trente-deux ans restés à son service. Tito est un fan de cinéma. En moyenne, Léka lui a montré 275 films par an, comme l’indique son journal quotidien. Il aime les westerns, Kirk Douglas et John Wayne.

Quand la Warner fait son entrée en Yougoslavie

Au début, les productions yougoslaves sont surtout à la gloire de Staline et Tito apparaît au second plan. Jusqu’au jour où ce dernier refuse de suivre ses ordres. Au moment du Festival de Cannes, en 1948, Staline exclut la Yougoslavie du Bloc de l'Est. En juin, il menace d’envahir le pays. Et le « titoïsme » devient « une trahison du socialisme ». La Russie pratique la domination absolue de ses pays satellites… Or la politique yougoslave est basée sur « le refus de l’occupation, la mort au fascisme et la liberté pour le peuple », dit le commentaire.

Tito fait retirer tous les films soviétiques des écrans yougoslaves. Des images d’actualités montrent aussi des portraits du camarade Staline brisés en mille morceaux. Ordre est cette fois donné de se procurer des films « de l’autre bord ». La Warner Pathé News fait son entrée en Yougoslavie. Sur les écrans, « Tarzan triomphe ». Et Hollywood comble le départ des Russes. Un film musical, Le Bal des sirènes (1952), avec Esther Williams, captive le public à Belgrade. Mais la première coproduction internationale, Le Dernier pont, l'année suivante, fait polémique : une histoire d'amour entre un partisan (Bernard Wicki) et une infirmière allemande (Maria Schell) : on est loin des partisans « authentiques »...

En 1954, la création du Festival de Pula, dans un ancien Colisée romain, sur la côte Adriatique, marque un nouveau tournant. Tito visionne en primeur tous les films et son commentaire est distillé aux membres du jury par l'interface de Leka. Au large, sur son île privée de Brioni, Tito reçoit aussi les plus grandes vedettes de cinéma de la planète : Orson Welles, qui va jouer, ainsi que Yul Brinner, dans La Bataille de Neretva (1969), un film culte, ou encore Richard Burton, à qui Tito propose de jouer son propre rôle dans Sujetska (1973). Sans oublier Alain Delon, Omar Sharif, Anthony Quinn…

L’autre tournant, en 1962, c’est l’arrivée de Ratko Drazevic, un ancien de la sécurité d’État, à la tête d’Avala films. On le surnomme « le magicien hollywoodien des Balkans ». Sa mission est de ramener des coproductions et des dollars américains. Nema problema (pas de problème). Légende ou réalité, l’homme est décrit comme effrayant, mafieux… Bien des années plus tard, la mort de Tito, en 1980, ne met pas encore fin à la légende. Il faut attendre 1991, quand le festival de Pula annule sa session et appelle les gens à « résister à la violence imminente ». Quelques jours plus tard, la guerre éclate. Et la Yougoslavie aussi.
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Il était une fois la Yougoslavie, Cinema Komunisto, écrit et réalisé par Mila Turajlic. Les films des deux rives. 2010. Documentaire  (101'). www.cinemakomunisto.com
Mardi 8 Octobre, la séance de 20h10 de« Cinéma Komunisto » à lEspace Saint-Michel, 75005 Paris, sera suivie dun débat en présence de la réalisatrice Mila Turajlić et un journaliste de lHumanité.

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