Législatives allemandes: «Angela Merkel va-t-elle devoir changer de coalition?»

A voir son agenda, Angela Merkel semble désormais pleinement lancée dans la campagne des législatives allemandes du 22 septembre : une émission de télévision cette semaine, pas moins de sept meetings, un grand entretien dans la presse suivi du traditionnel entretien télévisé de rentrée. La chancelière a-t-elle des raisons de s’inquiéter ? La politologue Ulrike Guérot, spécialiste des affaires européennes, répond aux questions de RFI.

RFI : Aujourd’hui, les sondages donnent la CDU d’Angela Merkel gagnante avec plus de 15 points d’avance sur les sociaux-démocrates du SPD. Pourquoi Angela Merkel démarre-t-elle sa campagne de manière si volontariste ?

Ulrike Guérot : Aujourd’hui, il y avait déjà une grande interview d’elle dans le grand quotidien national FAZ (Frankfurter Allgemeine Zeitung). Comme vous dites, la campagne commence maintenant.

La CDU va sûrement être en avance, mais la coalition est beaucoup moins sûre. Le résultat sera de toute manière très étroit. La question-clé, c’est : est-ce que Merkel va pouvoir gouverner avec la coalition actuelle, ou est-ce qu’elle va devoir changer de coalition ?

La coalition actuelle inclut les libéraux du FDP. Or ces libéraux sont très mal placés dans les sondages en ce moment, n’est-ce pas ?

La question cruciale, c’est : le FDP va passer les 5% ? Dans la loi allemande, il faut aller au-delà des 5% pour entrer au Parlement. Je pense que ça passera, parce que normalement, au niveau national, les Allemands aiment avoir leur parti libéral.

Pourtant, ayant dit cela, il faudra compter avec Alternative für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne, AfD, NDLR), qui est le nouveau parti anti-euro. Il est bien possible que ce parti, qui pioche dans le milieu conservateur libéral, grignote 3 ou 4% de précieux votes aux libéraux et aux conservateurs.

On voit aussi dans les enquêtes d’opinions qu’une majorité d’Allemands sont favorables à une grande coalition CDU-SPD. Est-ce envisageable ?

Merkel elle-même ne l’exclut pas. Elle l’a dit aujourd’hui dans la presse. Et souvenons-nous qu’elle a déjà dirigé une grande coalition entre 2005 et 2009. Donc, en fait, il y a déjà de l’habitude. La question serait plutôt de savoir si le SPD a vraiment envie de faire ça.

Parce que les sociaux-démocrates ont beaucoup souffert sous la dernière coalition. Ils n’ont pas pu mettre un accent, ils ont beaucoup encaissé à cause des réformes libérales. Le SPD, en tant que parti, est sorti perdant de cette grande coalition. Et c’est pour ça qu’il refuse de penser à une (autre) grande coalition.

Le SPD continue de fêter ses 150 ans ce weekend, avec une grande fête populaire les 17 et 18 août à Berlin. Dans quelle situation se trouve aujourd’hui le Parti social-démocrate en Allemagne ?

C’est très compliqué, et ce depuis un certain temps, parce que le parti était déjà assez faible dans les années 1990. On se rend compte qu’il semble un peu déchiré entre deux volets, un peu comme les socialistes français. Il y a une aile plus radicale, plus à gauche et une aile plus modérée. Peer Steinbrück, le candidat du SPD à la chancellerie, est plutôt de cette aile modérée. Par contre, le président du parti Sigmar Gabriel a tendance à être légèrement plus à gauche.

Donc, ça crée un peu des tiraillements à l’intérieur du parti, et ils ont été beaucoup regrettés ces derniers jours. Ca aussi, ça explique pourquoi la campagne du SPD paraît assez molle. Le parti ne semble pas très décidé. Là-dessus, il faut savoir qu’il y a un autre parti à gauche, Die Linke, et qui est en fait le successeur du PDS, l’ancien parti de l’ex-République démocratique d’Allemagne de l’Est (RDA).

Ce parti peut lui aussi envisager 7 ou 8% de votes, ce qui grignoterait aussi dans l’électorat des sociaux-démocrates. Tout ça donne l’impression qu’aujourd’hui, le SPD ne trouve pas vraiment sa voie. Et c’est pour cela qu’il peine dans les sondages, autour des 20%.

Un sujet s’est invité dans la campagne électorale : le programme Prism, c’est-à-dire l’espionnage par les Etats-Unis des chancelleries européennes, et notamment de l’Allemagne. Le bras droit d’Angela Merkel, Ronald Pofalla, est mis en cause dans cette affaire. Cela peut-il, selon vous, bénéficier à l’opposition ?

C’est très problématique. On voit cette affaire monter depuis six semaines. Au début, on a cru que ça ne jouerait pas dans la campagne. Mais maintenant, on à l’impression que ça joue, puisqu’en plus, il y a une commission au Bundestag (le Parlement, NDLR) qui a été créée pour, justement, examiner si l’Allemagne à bien réagi. Donc, effectivement, M. Pofalla est un peu en ligne de mire. Cela peut-il faire basculer le scrutin vers le camp des sociaux-démocrates, qui ont été très critiques à ce sujet ? Je ne sais pas.

C’est une affaire très grave, mais les citoyens semblent modérément impressionnés. On a du mal à mobiliser sur ce sujet, la campagne se joue beaucoup plus sur des sujets sociaux, par exemple un système de sécurité sociale à deux classes pour la santé, les retraites. Les accents de la campagne sont beaucoup plus mis sur les disparités sociales croissantes en Allemagne.

Les bons chiffres économiques tombés cette semaine relancent la dynamique dans la zone euro. Cela peut-il aussi peser dans le choix des électeurs en faveur d’Angela Merkel ?

C’est effectivement quelque chose qui joue probablement. L’Allemagne, au contraire d’autres pays européens, a assez bien traversé la crise de l’euro. Effectivement, ça joue. Et puis, au-delà de ça, la personnalité d’Angela Merkel est assez appréciée partout. Pour dire : 70% de l’électorat des Verts apprécient la chancelière. Elle a un grand bonus personnel.

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