RFI : Quelles sont, selon vous, les motivations des manifestants stambouliotes ?
Didier Billon : C’est le pouvoir qui est directement visé, puisque les slogans que nous pouvons entendre dans ces manifestations sont clairement dirigés contre le gouvernement : « Gouvernement démission », scandent les manifestants. Plus directement encore le Premier ministre est visé, puisque sa démission est exigée.
Cette flambée de violence assez dramatique est l’expression d’une sorte de « ras-le-bol » dans une partie de la population. Depuis plusieurs mois, il y a une sorte de climat liberticide qui s’est développé en Turquie. Le Premier ministre lui-même fait souvent preuve d’arrogance et de mépris vis-à-vis de ses interlocuteurs.
Il y a également plusieurs mesures, prises récemment, qui ont fait beaucoup débats, notamment à propos de la vente d’alcool. Il y a ce projet immobilier, qui est l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. Tout cela s’accumule et exprime un profond mécontentement d’une partie de la population.
Les partis d’opposition sont évidemment dans cette bataille politique. En réalité, tout cela est assez peu maîtrisé à ce jour. Je ne dis pas que tout cela va s’envenimer, mais nous sommes dans une situation un petit peu compliquée.
Y a-t-il un mouvement particulier derrière ces manifestations, ou sont-elles le signe de ce que vous décriviez comme un « ras-le-bol général » des Turcs ?
Ras-le-bol « général », je ne peux pas le dire. Je précise bien, cel concerne une partie de la population. Pour l’instant ce ne sont pas des dizaines ou des centaines de milliers de personnes. Nous n’en sommes pas là. Pour l’instant, il n’y a pas d’appel de partis politiques, même si certains députés, notamment issus du parti kurdiste, ont été dès le départ dans ces manifestations s’opposant au projet de destruction d’un espace vert important dans le centre d’Istanbul.
Mais on ne peut pas dire, à ce jour, que les partis politiques sont à la manœuvre et essaient de diriger ces manifestations. Elles ont un caractère assez spontané. On voit qu’il y a notamment beaucoup de jeunes.
Ce qui est inquiétant, c’est que l’on m’a indiqué ce samedi matin que des militants du Parti d’action nationaliste, un parti d’extrême droite, apparemment présents aux manifestations, vont à l’affrontement avec la police. Il peut y avoir tentative de récupération, mais pour l’instant, c’est largement spontané.
Le gouvernement avait déclaré, ce samedi matin, que les forces de l’ordre allaient rester le temps qu’il faudra. Cette brutalité de la répression, vous surprend-elle ?
Non, elle ne me surprend pas. Il y a une sorte de raidissement de la part de ce gouvernement, et une sorte d’autisme politique de la part du Premier ministre, qui visiblement n’en fait plus qu’à sa tête, qui n’écoute plus aucune critique et qui prend souvent un ton arrogant et méprisant.
C’est assez mauvais, parce qu’il n’y a pas à ce jour (samedi 1er juin dans la matinée, ndlr) de solution politique. Pourtant, vendredi après-midi, le tribunal administratif régional d’Istanbul a indiqué que ce projet pouvait être prorogé. C’est l’occasion pour que le Premier ministre dise : « Arrêtons ce projet. »
Erdogan a déclaré qu’il ne reviendrait pas sur sa décision...
Il y a une forme d’entêtement, ce qui n’est pas bon signe. Cette situation ne m’étonne pas. Cela couvait déjà depuis quelques semaines, quelques mois, incontestablement.
Pensez-vous qu'il existe des tiraillements au sein du gouvernement, également ?
C’est difficile à dire. Le vice-Premier ministre Bülent Arinç, a expliqué vendredi soir, suite à la décision du tribunal, qu’il fallait tenir compte de cette décision du tribunal administratif. J’ai pu considérer, un moment, que c’était une porte de sortie par le haut.
Le Premier ministre a dit qu’il continuerait... Il y a donc, visiblement – je ne sais pas si ce sont des tiraillements –, mais des nuances au sein de ce gouvernement, qui, peut-être, vont s’exprimer plus clairement dans les heures ou les jours à venir.