En Espagne, l'émission de télévision «Salvados» réveille les consciences

L’émission « Salvados », (littéralement, « sauvés »), fait un malheur tous les dimanches en fin d’après-midi, sur la Sexta, une chaine modeste ancrée à gauche qui a été récemment rachetée par Antena 3. Elle compte environ 15% de part d’audience. Le protagoniste-producteur-journaliste s’appelle Jordi Evole Requena. Il enquête dans les coulisses de la corruption et de la gabegie. Son style direct fait mouche auprès des téléspectateurs.

De notre correspondant à Madrid,

« Salvados » est une émission magazine qui évoque des sujets sérieux comme la corruption, la classe politique, ou la fracture énergétique. Le succès est surtout lié au contexte de crise, aux réductions budgétaires et aux scandales à répétition, aussi bien concernant la monarchie que les pouvoirs locaux dans les provinces. Les « années champagne » sont terminées. A cette époque-là, tout le monde s’accommodait des gens qui pratiquaient l’abus, le détournement de fonds publics, les magouilles dans le monde du football ou de la justice. Mais, aujourd’hui, alors que les restrictions sont partout, on ne peut plus être indifférent. Jordi Evole, un ancien comique devenu journaliste demande des comptes à ceux qui ont volé, qui ont menti, à ces petits chefs politiques locaux qui ont avantagé leurs familles. Ils ont englouti des millions d’euros dans des bibliothèques sans livres, des gares sans trains ou des aéroports sans avions, comme à Castellon ou à Ciudad Real.

Le citoyen ordinaire qui affronte des gens puissants

Jordi Evole est trapu, pas très charismatique, il porte de simples pulls à carreaux, rarement de cravates, mais il connaît bien ses dossiers et n’hésite pas à frapper plusieurs fois à la même porte. Souvent on ne lui ouvre pas, mais, aujourd’hui, alors que les scandales de justice se multiplient, les langues se délient. Le spectateur peut suivre Jordi Evole dans un palais de justice, demander pourquoi une affaire ayant entrainé une mort d’homme a autant trainé. On le voit aussi parler à des experts de foot qui lui expliquent que la bulle du sport roi va exploser bientôt car les clubs doivent des millions d’euros au fisc et à la sécurité sociale. Il est aussi filmé en pleine conversation avec des pharmaciens qui lui confessent la vente de produits inutiles, chers, qui ne servent qu’à alimenter et à enrichir un lobby. Il se fait aussi expliquer pourquoi la hausse de la facture d’électricité est due à des magouilles de groupes pétroliers et gaziers.

Michael Moore version espagnole

Ses actions n'ont pas beaucoup d’impact, considérant les résultats au sens strict, ce n’est pas très conséquent. Même si, dans certaines émissions, des hommes politiques suspects ont révélé des choses qui ont ensuite grossi des dossiers d’instruction. Comme par exemple, cet ancien président de la région des Baléares, Jaume Matas, impliqué dans une immense affaire de détournement de fonds qui, face à la caméra, a reconnu avoir versé 3 millions d’euros pour une fondation, tout simplement parce que le président est le gendre du roi. Or, il s’avère que ce même gendre a détourné pour son compte de l’argent public. Mais, on peut dire avec certitude que «Salvados», de Jordi Evole, a une fonction très importante. D’une part, il démontre que le journalisme d’investigation peut exercer une pression sur les dirigeants politiques ou économiques ; et d’autre part que l’impunité n’est pas une fatalité. Pour éviter les désastres du passé, il faut avant tout que le citoyen soit exigeant et soucieux de l’utilisation de son argent. Jordi Evole est certainement ce relai qui, pendant si longtemps, n’a pas existé en Espagne.
 

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