RFI : Que vous inspirent les récentes prises de position de socialistes français vis-à-vis de la politique économique allemande ?
Hans Stark : Cela m’inspire d’abord le fait que le rythme des affrontements franco-allemands, des crises que nous avons connues ces dernières années, s’accélère. Surtout, le ton est beaucoup plus virulent, violent même. C’est une nouveauté dans les relations franco-allemandes. C’est sans doute la crise la plus grave depuis cinquante ans.
Comment l’expliquez-vous ?
Il y a des causes structurelles et conjoncturelles. Structurelles d’abord : la France connaît un désaccord ancien avec l’Allemagne sur les questions économiques et monétaires. Dans les années 1970 et 1980, déjà, on a dénoncé le diktat de la Bundesbank allemande et la rigueur de sa politique monétaire. Dans les années 1990, c’était la fracture au sujet de Maastricht, et en 2005 : la Constitution (Traité constitutionnel européen, ndlr).
Donc, sur les grandes questions européennes, alors que l’on doit être une force motrice, nous en sommes très éloignés. Et parce que nous nous éloignons trop l’un de l’autre, même la fonction motrice que le couple franco-allemand doit jouer n’est plus assumée.
Le couple est-il sur le point de divorcer, selon vous ?
Non, ce n’est pas un divorce. Pour l’Allemagne, la France reste de très loin le partenaire économique et politique le plus important. Aujourd’hui encore, le gouvernement allemand l’a souligné dans ses différentes déclarations. Il n’y a donc pas de divorce.
En revanche, on va rentrer dans une période glacière des relations franco-allemandes. Déjà en soi, c’est grave, car on devrait en réalité avoir une accélération des rencontres, une intensification des dialogues. Loin de là, on va assister à un dialogue de sourds, au moins jusqu’aux élections législatives allemandes, de septembre 2013, qui ne donneront probablement pas le résultat qu’espère François Hollande.
Jean-Marc Ayrault et le ministre de l’Economie, Pierre Moscovici, ce lundi matin, essaient de calmer le jeu. Pierre Moscovici affirme que la France serait perdante, à chercher le bras de fer face à l’Allemagne...
Tout à fait. Michel Sapin a dit la même chose. Et tout cela a été aussi noté en Allemagne, où les journaux - en particulier Frankfurter Allgemeine, le journal le plus important en Allemagne - ont aussi souligné que des voix discordantes, qui cherchent le compromis avec l’Allemagne, se sont élevées au sein même du PS, et bien sûr aussi au sein de la droite.
On a le sentiment que la ligne de fracture de 2005, au sein du Parti socialiste, entre les partisans à l’époque du « oui » et ceux du « non » au traité constitutionnel européen, n’a toujours pas été résorbée. Est-ce effectivement le cas ?
Tout à fait. C’est la raison conjoncturelle, qui s’ajoute au désaccord structurel franco-allemand sur les questions économiques. Il y a d’abord la faille au sujet de l’Europe, de la Constitution de 2005. La situation est évidemment très grave. Trois années consécutives de hausse de chômage, avec un climat social délétère et des médias qui appellent à des retours de 1789 ou de 1934… Bref, on est quand même un peu dans l’exagération, dans une sorte de psychodrame collectif, qui explique sans doute que certains responsables du PS dérapent et veulent imposer avec force une politique que François Hollande avait définie durant sa campagne électorale. Une politique pour laquelle il a été élu, mais qu’il n’est pas en mesure de mettre en œuvre, du fait de ce qu’il se passe au sein de l’Union européenne.
L’aile gauche du PS est-elle en train d’instrumentaliser l’épouvantail allemand pour dénoncer la politique menée par François Hollande et Jean-Marc Ayrault ?
Ils ne dénoncent pas directement, mais ce qu’ils dénoncent ce sont les promesses non tenues. Ce qui revient au même. L’Allemagne est là comme le responsable du blocage français. Et donc, du blocage de François Hollande. François Hollande ne peut pas mettre en œuvre ses promesses électorales, parce que Berlin s’y oppose.
C’est en faisant sauter ce verrou-là que la gauche du PS espère pouvoir finalement imposer ce qu’elle appelle une « autre politique ». A savoir une politique, non pas de rigueur ou de consolidation budgétaire, mais une politique de relance de type keynésien, telle que celle que la France a menée entre 1981 et 1983, hélas, avec le succès que l’on connaît.
L’échec de François Hollande en tant que Premier secrétaire du PS en 2005, peut-il devenir l’échec du François Hollande devenu président de la République ?
On n’y est pas encore et ce serait terrible pour lui. Le Premier secrétaire de 2005, qu’il était à l’époque, n’était plus en mesure de contrôler les courants à l’intérieur du PS.
Il a refait surface, par la suite, et est devenu président de la République. Mais le président de la République doit exercer une autorité au-dessus de tout soupçon. Si le scénario de 2005 se répétait, ce serait gravissime pour les institutions françaises.
Y a-t-il une germanophobie en train de monter en France, et plus généralement en Europe ?
En Europe, dans les pays du sud, sans doute. C'est en raison des énormes sacrifices qu’on leur demande, il faut le comprendre. En France je pense qu’il y a toujours une germanophobie un peu minoritaire très, très marginale, qui a existé. Tout comme il y a une francophobie en Allemagne, qui s’exprime autrement, avec moins de haine, mais avec plus de mépris. Mais qui est, elle aussi, minoritaire. Ceci étant dit, dans le contexte actuel, ce courant minoritaire peut gonfler et faire beaucoup de mal et c’est le cas, actuellement.
Notamment dans le cadre des législatives en Allemagne, qui auront lieu avant la fin de l’année ?
Là, Angela Merkel est vraiment devant un dilemme. Elle est critiquée en France, en Grèce, à Chypre, exactement pour la politique qu’approuvent les Allemands. Donc, en écoutant les Français, en écoutant les Grecs et les Chypriotes, elle se mettrait en porte à faux vis-à-vis d’une majorité d’Allemands, qui veulent justement ce type de politique de sérieux sur le plan budgétaire et monétaire.
Elle est devant un terrible dilemme. Elle ne peut pas satisfaire à la fois l’opinion publique allemande et l’opinion publique française. C’est son grand problème. Et elle va, évidemment, choisir le camp allemand, puisqu’elle veut être réélue. Ce qui veut dire que l’on aura très probablement une chancelière Merkel. On ne sait pas avec quel partenaire, ça on le verra plus tard. Sauf si le nouveau parti anti-euro parvient à faire un score important, empêchant la reconduction de l’actuel gouvernement ou même s’il parvient à s’imposer dans le débat.