Meurtre de Kurdes en France: «les premiers éléments laissent penser à une exécution»

Frédéric Ploquin, journaliste à l’hebdomadaire Marianne, est un spécialiste des questions du banditisme et du renseignement. Il répond aux questions de RFI au sujet du meurtre de trois militantes kurdes, dans la nuit du 10 janvier à Paris. Selon les premières indications, elles se trouvaient dans les locaux d’une association de la communauté kurde du Xème arrondissement de la capitale. L’enquête a été confiée à la section anti-terroriste de la police.

L’enquête ne fait que commencer, mais déjà il y a des éléments balistiques, notamment qui évoquent une exécution ?

Les premiers éléments effectivement constatés sur la scène du crime laissent penser à une exécution, c’est ce qu’a dit le ministre de l’Intérieur [Manuel Valls s’est rendu sur place dans la matinée, ndlr]. Apparemment on a deux jeunes femmes qui ont été tuées d’une balle dans la nuque et la troisième qui aurait été atteinte, si on en croit ce qu’on sait jusqu’à présent, d’une balle dans le ventre. Tout ça laisse a priori penser effectivement à un règlement de compte. En tout cas, le message est fort. Ce qui nous choque, ce sont deux choses. La première, c’est qu’il y a trois victimes. Et la seconde, que ce sont des femmes.

Justement, plusieurs de ces victimes étaient des personnalités connues au sein de leur communauté. Il y avait la présidente du Centre d’information kurde, Fidan Dogan. Et puis peut-être surtout Sakine Cansiz, l’une des fondatrices du Parti des travailleurs kurdes (PKK), qui était aussi, en quelque sorte, l’une des porte-parole d’Abdullah Öcalan, le fondateur de ce mouvement séparatiste kurde emprisonné depuis de longues années en Turquie.

Le PKK, c’est une organisation qui est interdite en Turquie, qui est considérée en Europe et aux Etats-Unis comme une organisation terroriste. Il faut quand même le dire. Est-ce que cette association était d’une certaine manière une vitrine du PKK ? C’est une éventualité. C’est quelque chose qu’il faudra creuser. Mais ce qui semble évident pour l’instant, c’est que le message des assassins est très fort. Après, les pistes de travail sont nombreuses.

Les interprétations sont très différentes côté turc ou côté kurde. Rapidement, une foule s’est massée devant l’immeuble où ont eu lieu les meurtres pour dire que ce sont peut-être les milieux extrémistes turcs qui seraient en cause. Une piste crédible ?

On peut imaginer effectivement trois hypothèses : la première, c’est une rivalité entre associations kurdes ; la seconde, c’est une main extérieure – on pense notamment aux Loups gris, qui ont des rapports un peu fumeux, tortueux avec l’Etat turc, qui sont une organisation plutôt d’extrême droite et dans laquelle on a identifié un certain nombre de pratiques relevant du crime et du terrorisme ; et la troisième, que l’on peut évacuer assez rapidement, mais la question se posera tout de même de savoir si l’Etat turc aurait osé aujourd’hui aller opérer de cette façon là en territoire français par l’intermédiaire de ces services secrets. C’est quelque chose qui, dans l’histoire de ces dernières années, s’est produit notamment avec les Espagnols. Les services secrets espagnols sont venus exécuter un certain nombre de personnes de l’ETA militaire sur le territoire français. Cela s’est produit également à plusieurs reprises avec les Israéliens, qui ont été soupçonnés par l’intermédiaire du Mossad d’avoir éliminé des agents palestiniens sur le territoire français. Mais ça faisait très longtemps que ça ne s’est pas produit.

Cela s’est passé aussi avec les Sud-Africains avec Dulcie September [assassinée le 29 mars 1988 à Paris].

Avec des complicités au sein, pour cette affaire là, de l’appareil d’Etat français.

Et c’était à Paris ?

C’était en plein Paris. Là aussi, on est en plein Paris, dans le Xème arrondissement, très peuplé. C’est aussi cela qui choque un peu tout le monde. Mais on voit mal aujourd’hui, la Turquie prendre un risque diplomatique aussi énorme. On sait aujourd’hui que la police française s’intéresse au PKK depuis longtemps. Les services de renseignements français suivent ces organisations sur les territoires français. Et ce qu’on sait aussi, c’est que ces associations qui sont souvent la vitrine d’organisations terroristes et criminelles se financent par l’intermédiaire du racket. Donc il y a un peu des luttes internes probablement entre les différents courants au sein du mouvement kurde. C’est en gros à celui qui ramassera le plus d’argent auprès des commerçants de la communauté.

Il ne faut pas se leurrer, c’est comme cela que ça se passe, c’est comme cela que l’on finance la cause. Tous les commerçants kurdes en région parisienne, en Ile de France, sont soumis à un moment ou à un autre au racket, ils sont priés d’alimenter la cause. S’ils ne le font pas, il y a régulièrement des faits criminels et des incendies, il y a même eu des morts. On peut imaginer, c’est l’hypothèse qui va être privilégiée par les enquêteurs, des rivalités sur fond d’argent entre branches du mouvement kurde.

L’Etat français agite régulièrement la menace terroriste. Est-ce qu’on parlait d’une telle menace par rapport à cette communauté kurde ?

Pas précisément. La menace était plutôt d’ordre criminel et la brigade criminelle à Paris a déjà eu, à plusieurs reprises, l’occasion de mettre son nez dans les affaires kurdes à cause de règlements de compte, de gens qui restaient sur le carreau. C’était souvent au couteau, parfois à l’arme à feu. C’est donc plus ce type de menace qu’à une menace clairement terroriste. La menace terroriste pèse sur l’Etat turc, elle pèse sur la Turquie venant des Kurdes. Elle ne pèse pas sur la France. Il y a une surveillance de ces mouvements parce que le PKK est une organisation interdite, donc elle est effectivement surveillée, mais il n’y a pas à proprement parler de menace identifiée.

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