Les Albanais fêtent les cent ans de leur indépendance

L’Albanie a cent ans ce mercredi. L’indépendance du premier Etat albanais a été proclamée le 28 novembre 1912 à Vlora, et tous les Albanais des Balkans, notamment au Kosovo et dans le nord-ouest de la Macédoine, célèbrent cet anniversaire dans une ambiance de liesse patriotique, relançant l’hypothèse d’une « unification nationale » à venir.

Ce mercredi 28 novembre, Tirana va devenir la capitale d’un monde albanais provisoirement unifié dans la liesse des célébrations du centième anniversaire de l’indépendance. Un détachement des Forces de sécurité du Kosovo (KSF) participera à un défilé militaire commun avec l’armée albanaise, devant les dirigeants de Tirana et de Pristina.

La grande fête a commencé dimanche dernier à Skopje. Dans un gymnase archi-comble, après avoir entonné l’hymne national albanais, le Premier ministre albanais Sali Berisha et son homologue du Kosovo Hashim Thaçi se sont adressés à une foule électrisée, évoquant les réalisations de ce siècle d’indépendance et le chemin encore à parcourir. Sali Berisha a salué les différentes guérillas apparues au cours des dernières décennies – Armée de libération du Kosovo (UÇK), Armée de libération nationale de Macédoine (UÇK-M), Armée de libération de Presheva, Bujanoc et Medvegje (UÇPMB), en Serbie – qui ont toutes « lutté pour les droits des Albanais ». Les deux chefs de gouvernement avaient été rejoints par le vice-Premier ministre de Macédoine, Musa Xhaferi, et par Ali Ahmeti, chef du principal parti albanais du pays et ancien commandant de l’UÇK-M. Il n’y avait guère qu’un absent à la grande fête, le Premier ministre macédonien Nikola Gruevski, parti en voyage aux Etats-Unis.

En Macédoine, 25% de la population est albanaise

Skopje est en effet la capitale de la République de Macédoine, un Etat où les Albanais représentent quelque 25% de la population. A se promener ces derniers jours dans les rues du quartier albanais de Çair, mais aussi dans les autres villes où se concentre cette communauté, comme Tetovo, Gostivar ou Debar, toutes pavoisées aux couleurs rouge et noir du drapeau national, on pourrait pourtant croire que la Macédoine a déjà disparu et que les régions occidentales du pays ont rejoint une « Albanie unifiée »…

L’indépendance de l’Albanie a été proclamée le 28 novembre 1912 à Vlora, dans le tumulte des guerres balkaniques, mais les grandes puissances n’ont fini par reconnaître qu’un Etat au territoire restreint, correspondant à celui de l’actuelle Albanie, qui laissait de côté plus de la moitié des régions où vivaient des Albanais, notamment le Kosovo. Cent ans plus tard, le sociologue Enis Sulstarova reconnaît que les célébrations du centenaire de la proclamation de Vlora lui inspirent des sentiments « mitigés », parce que « la moitié seulement des aspirations nationales de 1912 ont été satisfaites ».

En cet automne de célébrations patriotiques, les groupes scolaires se succèdent dans la Maison de l’indépendance, l’ancien bâtiment de la douane turque, situé sur le port de Vlora. À l’automne 1912, chacune des petites pièces de la maisonnette abrita un ministère différent, et le bureau d’Ismail Kemal est pieusement conservé en l’état. Une enseignante commente une carte de l’Albanie « naturelle », qui inclut naturellement le Kosovo, les régions albanaises du nord-ouest de la Macédoine, mais aussi le nord de la Grèce et une bonne partie du Monténégro, tandis qu’en Serbie, la « frontière » remonte jusqu’à la ville de Nis : « C’était autrefois l’Albanie », assure-t-elle aux écoliers.

De plus en plus d'Albanais favorables à l'unification nationale

D’après plusieurs récentes enquêtes d’opinion, 65 à 68% des citoyens d’Albanie seraient favorables à l’unification nationale. Ce taux bondit au Kosovo, où il atteignait 81% en novembre 2010. Enis Sulstarova reconnaît qu’il faut prendre ces chiffres avec prudence : « Quel Albanais pourrait dire qu’il est contre l’unification ? Mais qui est véritablement prêt à se mobiliser ? L’indépendance du Kosovo nous a été offerte par les Etats-Unis, mais il ne faut pas croire qu’ils nous feront également cadeau de l’unification. » Au contraire, cette perspective est toujours formellement écartée par les Occidentaux. Toutefois, l’échec de la « multiethnicité » au Kosovo relance le débat : pourquoi faudrait-il maintenir l’existence séparée de « deux Etats albanais » ?

Officiellement, les dirigeants politiques d’Albanie et du Kosovo évoquent une réunion nationale qui se fera dans le cadre de l’Union européenne, quand tous les pays de la région seront intégrés. L’objectif paraît trop lointain pour des militants comme Enis Sulstarova, qui rappelle que les processus nationaux se poursuivent « même au sein de l’Union ». « Durant des années, on nous a expliqué que les Balkans devaient se détourner du nationalisme et suivre une "voie européenne", mais quand l’Ecosse ou la Catalogne se dirigent vers l’indépendance, l’unification du Kosovo et de l’Albanie serait un processus européen très naturel. »

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