Le Front national est loin d’être le seul parti populiste de droite ou d’extrême droite en Europe à avoir réussi des percées électorales significatives. Les dix dernières années ont vu un nombre croissant de mouvements de ce type parvenir à se faire élire dans des parlements, et même à participer à des gouvernements.
Les pays concernés par l’apparition et par une montée plus ou moins rapide de l’influence de cette orientation politique sont : la Belgique, la France, la Norvège, le Danemark, l’Italie, l’Autriche, la Suisse, la Suède, la Bulgarie, la Hongrie, la Finlande, la Slovénie, la Slovaquie, la Grèce, les Pays-Bas, et, dans une moindre mesure, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Pologne, la République tchèque, le Portugal et l’Espagne. Les cibles communes de toutes ces formations sont les élites politiques, la mondialisation et le multiculturalisme. Leurs ennemis communs : les institutions européennes et les étrangers, qu’ils présentent comme « envahisseurs » qui menacent la prospérité économique, les acquis sociaux et l’identité nationale des populations qui les accueillent.
Mélange d’ignorance et de peur
Le terreau le plus fertile pour cultiver leurs idées est constitué d’un savant mélange d’ignorance et de peur : peur de l’inconnu, peur de l’autre, peur du monde qui change rapidement, peur de perdre ses repères… Les partis populistes et d’extrême droite espèrent se substituer aux équipes actuellement au pouvoir en exploitant cette ignorance, ces incertitudes et ces peurs. Pour y parvenir, ils emploient des techniques, des tactiques et des stratégies diverses et variées.
Afin de souligner leur caractère « anti-système », ils se présentent souvent comme les « partis anti-partis », en adoptant plutôt des noms comme « ligue », « front », « alliance » ou « garde ». Ils se fédèrent le plus souvent autour d’un leader charismatique et autoritaire, qui se présente comme le défenseur des intérêts prétendument bafoués d’une « majorité silencieuse ». La démocratie au sein du parti est généralement assez restreinte et revient souvent à la liberté d’acclamer le leader.
Briser les tabous et les interdits
En revanche, les partis populistes et d’extrême-droite utilisent habilement les instruments d’action que leur offre le système démocratique dans lequel ils existent. Par exemple, la liberté d’expression leur sert parfois de tremplin pour briser les tabous et les interdits que toute société démocratique s’impose pour protéger les faibles et les minorités, ou pour éviter de dresser les uns contre les autres et de créer des stéréotypes de l’ennemi.
Or les populistes et les extrémistes ont besoin justement d’ennemis pour exister. L’éventail de ceux-ci est donc large dans le vocabulaire populiste. Parmi les plus souvent cités, l’« eurobureaucratie », les immigrés, et surtout l’« establishment », appelé « la mafia politique » par le Vlaams Belang en Belgique, « la bande des quatre » par le Front national en France (son ancien chef, Jean-Marie Le Pen, désignait ainsi les quatre principaux partis de l’époque : le RPR, l’UDF, le PS et le PCF), la « nomenclature » par la Ligue du Nord en Italie, ou, sur un ton plus clément, « les partis traditionnels » par l’Alliance pour l’Avenir de l’Autriche.
Stratégie payante
Dans plusieurs pays, cette stratégie s’est avérée payante. Au Danemark, une minorité chrétienne-démocrate était au pouvoir jusqu’à 2011 avec le soutien du Parti du peuple danois, qui, certes, ne faisait pas partie du gouvernement, mais lui était indispensable au Parlement.
Aux Pays-Bas, les chrétiens-démocrates ont, pour la première fois, fait entrer des populistes de droite (le PVV de Geert Wilders) dans le gouvernement. Coalition qui vient de tomber, suite à l’échec de négociations sur la réduction du déficit public.
En Autriche, le Parti populaire conservateur avait formé une coalition avec le FPÖ de Jörg Haider entre 1999 et 2006. En Italie, Silvio Berlusconi a gouverné avec les anciens néofascistes et un parti séparatiste, la Ligue du Nord, éclaboussé depuis début avril par une série de scandales financiers. En Hongrie, le parti d’extrême droite Jobbik est entré au Parlement. En Finlande, le parti populiste des Vrais Finlandais a obtenu 19% des voix aux dernières législatives.
Enfin, en France, Marine Le Pen vient d’obtenir à l’élection présidentielle le meilleur score jamais atteint par le Front national, presque 18% des suffrages.
Faire éclater le système politique
L’objectif stratégique de tous ces mouvements est sans aucun doute de prendre le pouvoir et de faire éclater le système politique actuel aussi bien au niveau national qu’européen. Ils espèrent y parvenir en gagnant graduellement en influence dans le cadre du système existant et en y introduisant de plus en plus de sa rhétorique et de ses idées, pour mieux le faire exploser une fois suffisamment forts pour le maîtriser et dominer.
A moins qu’ils n’estiment un jour que la situation soit assez favorable pour agir plus rapidement et plus radicalement. Il y a quelques mois, le centre de réflexion britannique Demos a publié une étude où plus de 10 000 sympathisants de partis populistes, répertoriés comme des « fans » sur le réseau social Facebook, ont été interrogés. Seuls 20% des sondés ont confiance en leur gouvernement national, et 14% en l’Union européenne (à rapporter à 45% obtenus dans une enquête d’Eurobaromètre au niveau de l’UE). Le système judiciaire bénéficie de la confiance de seulement 30% des participants à l’étude de Demos, alors que le même indice au niveau européen est de 60%.
Mais le plus inquiétant, c’est que 26% des sympathisants de partis populistes interrogés par Demos estiment que « la violence est acceptable si elle conduit à imposer leurs idées ». Selon l’auteur de l’enquête, Jamie Bartlett, les responsables politiques européens doivent « se secouer, écouter et répondre » aux peurs et frustrations de cette catégorie de citoyens avant qu’il ne soit trop tard.