On pourrait penser au premier abord que la meute de journalistes présents attend de pied ferme Angelina Jolie actuellement en ville pour la Berlinale. Mais non, la presse allemande et étrangère attend ce matin un octogénaire très vert (mais peu disert). Quand le peintre Gerhard Richter prend place derrière le podium avec les responsables de l’exposition, il s’amuse visiblement, un sourire en coin, de cette affluence médiatique, inhabituelle dans un temple de l’art moderne. Interrogé sur cette « cohue », le maître commente pince sans rire : « Etre méprisé serait plus désagréable ».
La coqueluche des critiques
Méprisé, Gerhard Richter est loin de l’être. Le peintre est à la fois la coqueluche des critiques, des musées, des amateurs d’art et du grand public. Ses œuvres se vendent pour des millions d’euros et sont exposées dans les musées du monde entier. Régulièrement interrogé sur les prix auxquels se vendent ses toiles, ce sceptique qui n’a pas la grosse tête répond invariablement : « C’est absurde ».
Le prix des 130 peintures et cinq sculptures exposées à la Neue Nationalgalerie de Berlin n’est pas connu. Mais la police d’assurance a sans nul doute atteint des sommets. Au rez-de-chaussée de ce temple de l’architecture moderne conçu par Mies van der Rohe au début des années 1960, une halle carrée et vitrée au toit plat, l’espace normalement libre a été complètement aménagé pour accueillir la rétrospective Richter. Contrairement à la première étape de l’exposition à la Tate Gallery de Londres et à la troisième au Centre Pompidou de Paris, la symbiose entre le bâtiment et l’exposition est très étroite.
Une photo numérique géante composée de traits verticaux rappelant, en couleur, un code barre –une œuvre de quelques mois seulement- accueille le visiteur. Pour le reste, les œuvres sont présentées de façon chronologique et restituent cinquante ans de création de Gerhard Richter. Ce choix permet la juxtaposition dans le bâtiment d’œuvres aux styles très divers, abstrait et concret, grande et petite taille, peintures, photos et quelques sculptures. On peut donc constater comment des œuvres très différentes ont été créées durant la même période, mais aussi se rendre compte des changements ainsi que des thèmes récurrents au cours des cinq dernières décennies.
Originaire de Dresde
La première œuvre, marquant le début de cette rétrospective, est La chaise de 1962. Elle est présentée comme la première création de Gerhard Richter ce qui n’est pas tout à fait vrai. L’artiste a volontairement détruit des œuvres antérieures dont il n’était pas satisfait. 1962 coïncide presque avec une rupture centrale dans la vie de Gerhard Richter. L’année précédente, quelques mois avant la construction du mur de Berlin, le jeune homme originaire de Dresde dans l’ex-RDA où il a fréquenté l’Ecole des Beaux-Arts au début des années 1950, décide de passer à l’Ouest. L’étroitesse artistique, les canons imposés par le régime socialiste, briment sa créativité. Gerhard Richter s’installe à Düsseldorf ; plus tard il déménagera à Cologne où il vit encore aujourd’hui.
La Rhénanie est à l’époque l’épicentre de l’avant-garde artistique ouest-allemande. Mais celui qui a fuit la RDA et son kitsch réaliste prend le contre-pied de ce qui prévaut dans les années 1960 en RFA. Il expose dans un premier temps des photos réalistes, plus exactement des peintures réalisées sur la base de photographies tirées d’albums de famille ou de journaux. Ce style est d’abord baptisé « réalisme capitaliste ».
Gerhard Richter qui s’intéresse à la peinture contemporaine américaine devient une sorte de « german popper ». Il peint pendant un temps des vaches, des rouleaux de papier-toilette et des avions de chasse. Son tableau le plus connu datant de cette époque est Ema nue sur un escalier, une œuvre qui comme beaucoup d’autres est marquée par le flou du sujet reproduit. Plus tard, Gerhard Richter développera une faiblesse pour les couleurs avec des palettes multicolores, des paysages aquatiques ou des cycles de nuages.
Une courte période politique
A la fin des années 1980, l’artiste devient pour une courte période politique avec une série de peintures consacrées à la fraction armée rouge, le groupe terroriste des années 1970 et 1980. Ces tableaux consacrés à la prison de Stammheim où les leaders du mouvement furent emprisonnés et se sont suicidés figurent parmi les œuvres les plus connues de Richter. Elles ne sont pas exposées à la Neue Nationalgalerie, mais à quelques centaines de mètres de là sur l’île aux musées de Berlin dans un autre établissement dédié à l’art du... 19e siècle.
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L’exposition Gerhard Richter est à voir à Berlin jusqu’au 13 mai puis au Centre Pompidou à Paris du 3 juin au 24 septembre.
- Le site de la Neue Nationalgalerie (en allemand)
- Le site de la Neue Nationalegalerie (en anglais)