Les studios de Babelsberg fêtent leur centenaire

Il y a cent ans le 12 février 1912, le premier tournage d’un film aux portes de Berlin débutait. Les studios dont la légende allait être fondée avec de grands classiques dans les années vingt célèbrent l’événement. Le festival du film de Berlin rend hommage à ce mythe au passé complexe à l’instar de l’histoire allemande.

De notre correspondant à Berlin

Le choix de Babelsberg à vingt kilomètres du centre de Berlin il y a un siècle, est la conséquence de contraintes matérielles. On tourne à l’époque avec la lumière du jour. Les studios, sorte de grandes verrières, sont souvent aménagés sur les toits du centre-ville. Mais la pellicule est un matériau très inflammable et les pompiers sont souvent dépassés par les conséquences des incendies. Les cinéastes sont donc priés de s’installer là où le voisinage est moins menacé. Le premier film tourné à Babelsberg, un quartier aujourd’hui intégré à la ville de Potsdam, s’intitule Totentanz  (ou danse macabre). Le rôle principal y est tenu par une star de l’époque, la Danoise Asta Nielsen qui tournera toute une série de films à Babelsberg.

Le mythe Babelsberg

Comme durant les cent ans qui suivront, les studios sont marqués très vite par des crises et des ruptures. La première sera la première guerre mondiale. La paix revenue, Babelsberg est rachetée par une nouvelle société dont le nom est indissolublement lié aux studios et aux grandes heures du cinéma allemand, l’UFA. Différentes fusions permettent de renforcer ce secteur encore peu développé. Le terreau intellectuel et artistique que constitue le Berlin des années vingt, la présence de pionniers et de génies du septième art, mais aussi la grande inflation qui fait baisser les coûts de production en Allemagne fondent le mythe Babelsberg dans les années vingt.

Certains des plus grands films de l’histoire du cinéma y sont tournés avec des réalisateurs dont les noms sont entrés au Panthéon du septième art comme Les Nibelungen de Fritz Lang,  Le dernier homme ou Nosferatu  de Murnau.
Hollywood envoie de jeunes collègues comme un certain Alfred Hitchcock se perfectionner à Babelsberg. Un grand studio toujours existant est construit en 1926 spécialement pour le tournage d’un film de science-fiction dont les coûts ont failli ruiner Babelsberg,  Metropolis de Fritz Lang. Le soutien de Hollywood permettra d’éviter la faillite.

Les studios passent du muet au parlant. Un des premiers films L’ange bleu de Josef von Sternberg consacre une nouvelle star, Marlene Dietrich. A cette époque, Babelsberg mérite bien son nom. Des versions en différentes langues des mêmes films sont tournées avec des acteurs venant de différents pays.

Un instrument de propagande du Troisième Reich

Avec l’arrivée au pouvoir des Nazis, une nouvelle rupture se produit. Les studios sont déjà entre les mains depuis la fin des années 20 du groupe conservateur Hugenberg qui fera le lit d’Hitler. De nombreux responsables adhèrent au parti nazi avant 1933. Avec le début du Troisième Reich, certains artistes qui avaient pour des raisons professionnelles pris le chemin d’Hollywood sont rejoints par d’autres, opposants au nazisme comme Marlene Dietrich ou menacés de représailles comme les artistes juifs. Comme dans d’autres domaines artistiques, c’est une saignée pour l’Allemagne qui perd des créateurs de premier plan comme Billy Wilder.

Hitler et son ministre de la Propagande Joseph Goebbels aiment le cinéma et sont conscients de son impact sur les masses. Babelsberg devient donc un instrument de propagande du nouveau régime. A côté de films à l’eau de rose, d’autres doivent servir l’idéologie au pouvoir comme Le juif Süss de Veit Arlan. Le dernier film tourné jusqu’en avril 1945, alors que les forces soviétiques étaient aux portes de Berlin s’intitule La vie continue. Un titre qui rappelle le « hit » d’une des stars du cinéma de cette époque, la Suédoise Zarah Leander qui a chanté Je sais qu’un jour un miracle se produira.

Des films dans le Berlin d’après-guerre

Contrairement aux alliés occidentaux, les Soviétiques mettent très vite en place une politique culturelle active dans leur zone d’occupation. Dès 1946, une nouvelle société gérant les studios, la DEFA, est fondée. Un des premiers films tournés dans le Berlin d’après-guerre en ruine Les assassins sont parmi nous révèle une future icone du cinéma et de la chanson Hildegard Knef. Les quatre décennies qui vont suivre jusqu’à la chute du mur de Berlin oscillent entre des périodes marquées par une certaine libéralisation –après la mort de Staline ou au milieu des années 60- où des films évoquant de façon critique la réalité du régime est-allemand sont tournés. Certains ne seront diffusés qu’après la chute du mur.

Dans les années cinquante, le régime promeut notamment des films à la gloire de célébrités du mouvement ouvrier. Plus tard, des « films d’indiens », sorte de westerns venus du froid remportent un grand succès populaire en RDA et dans le bloc de l’Est.
Avec la détente qui s’installe avec le monde occidental, les films tournés à Babelsberg franchissent plus facilement le rideau de fer. Celui d’un des cinéastes est-allemands les plus connus Konrad Wolf Les étoiles est certes primé à Cannes en 1959, mais cette co-production est présentée comme un film bulgare. Jacob le menteur de Frank Beyer est en 1975 le seul film de la DEFA jamais nominé pour les oscars. D’autres œuvres remportent des prix à la Berlinale et sont montrés en Allemagne de l’Ouest. La DEFA tourne également de nombreux films pour enfants à la qualité reconnue.

De Tarantino à Tom Hanks

Nouvelle rupture avec la chute du mur. Les studios sont privatisés et repris en 1992 par la société française Compagnie Générale des Eaux (aujourd’hui Vivendi). Une brutale hémorragie frappe l’emploi. Le très francophile réalisateur allemand Volker Schlöndorff co-dirige les studios durant cinq ans. Une modernisation importante est menée. Sur le site, d’autres acteurs s’installent comme une chaîne de radio-télévision publique, la société de production TV Ufa, plus tard une école de cinéma. Des films à gros budgets comme Le lecteur d’après le roman à succès de Bernhard Schlink,  Enemy at the gates  de Jean-Jacques Annaud ou Le pianiste de Roman Polanski sont tournés. En 2004, Vivendi cède les studios à des investisseurs allemands.

Aujourd’hui, ils sont avant tout des prestataires de service pour le cinéma et ne produisent pas eux mêmes. Leur succès dépend pour une large part de contrats pour de gros films qui remplissent les caisses. L’aura du passé les attire pour partie. A Babelsberg, on souligne par exemple que Quentin Tarantino n’y aurait sans doute pas tourné  Inglorious bastards si le mythe des années vingt ne l’avait pas séduit. Mais le savoir-faire des salariés des studios, pour la construction de coulisses ou la fabrication de costumes, les subventions des autorités régionales et les coûts globaux à Potsdam et Berlin inférieurs à ceux d’autres sites expliquent aussi la capacité de Babelsberg à accueillir non seulement Tarantino, mais aussi Matt Damon, Kate Winslet et d’autres. Tom Hanks a récemment écrit dans le livre d’or lors du tournage de Cloud Atlas qui vient de s’achever (en encaissant au passage une subvention record d’1,5 million d’Euros) : «Venir ici pour tourner, c’est réaliser un rêve d’étudiant en cinéma ».

Le festival du film qui a débuté jeudi 9 février 2012 va rendre hommage aux studios. Une section baptisée « Happy Birthday Babelsberg » propose dix classiques tournés sur place qui ont marqué les cent dernières années, y compris le film « fondateur » Danse macabre qui vient d’être restauré.

Partager :