« Il existe un hiatus entre une classe politique presque unanimement pro-européenne et une opinion publique beaucoup plus réservée, mais qui n’a jamais eu l’occasion de donner son avis depuis le début du long processus d’intégration », souligne le journaliste Toni Gabric, rédacteur en chef du site h-alter, fortement engagé dans le camp de la gauche eurosceptique.
La marche européenne de la Croatie a commencé il y a plus de dix ans, en 2001, quand le pays a signé un accord de stabilisation et d’association avec l’UE, toute première étape du long chemin menant à l’adhésion. Parmi les exigences à remplir, l’une des plus difficiles à remplir a sûrement été la « pleine coopération » avec la justice internationale : Zagreb a dû arrêter et transférer devant le TPIY de La Haye plusieurs généraux de la guerre d’indépendance accusés de crimes de guerre, mais toujours considérés comme des « héros » par de larges secteurs de l’opinion.
Depuis, les secteurs les plus nationalistes de l’opinion, les associations d’anciens combattants et les cercles catholiques conservateurs forment autant d’opposants résolus à l’UE, mais le camp des eurosceptiques n’a cessé de s’élargir au fur et à mesure que la perspective de l’adhésion se rapprochait. Pris en porte-à-faux entre ses engagements européens et sa base de plus en plus rétive, le gouvernement conservateur du HDZ avait pris l’engagement de convoquer un référendum, que la coalition de gauche arrivée au pouvoir en décembre a choisi d’organiser au plus vite, faisant le pari d’une campagne courte.
Le référendum survient pourtant à un moment très délicat. « La Croatie va entrer dans une Union européenne qui est train de vivre la plus grave crise de son histoire, une Europe néo-libérale et archi-bureaucratisée, malgré son vernis de démocratie », s’indigne Mate Kapovic, thésard en linguistique à l’Université de Zagreb, l’une des voix les plus influentes parmi les opposants de gauche à l’intégration.
La crise de l’Union offre en effet des arguments tout trouvés aux pourfendeurs de « l’Europe libérale ». Pour les citoyens croates, l’adhésion européenne a longtemps été perçue comme un gage de stabilité macro-économique, qui n’est plus guère à l’ordre du jour, tandis que les valeurs démocratiques de l’UE semblent mises à mal dans la Hongrie voisine : Zagreb n’est qu’à quelques heures de voiture de Budapest.
Les partisans, de gauche comme de droite, dénoncent la brièveté de la campagne ainsi que les campagnes « d’information » du gouvernement, qui s’apparentent, selon eux, à un matraquage en faveur du « oui ». Le GONG, organisme de surveillance des élections dont la probité est unanimement reconnue, a même demandé, sans être entendu, que la date du référendum soit repoussée. « Nous ne nous faisons pas d’illusions », lâche Mate Kapovic, « si jamais le non l’emporte dimanche, on nous fera revoter dans quelques mois »…
« Les deux camps jouent beaucoup sur la peur », note, non sans humour, l’éditorialiste Srdjan Vrancic. « Les adversaires de l’UE annoncent que la Croatie va être submergée par un afflux de gays et de lesbiennes, puis de travailleurs immigrés et enfin de retraités suédois qui coloniseront nos îles, tandis que le gouvernement explique que si le non l’emporte, les retraites ne seront plus payées, les investisseurs déserteront le pays et toute l’économie croate s’effondrera ! »