La zone euro sous surveillance

A la veille du Conseil européen de jeudi, l'agence américaine de notation Standard & Poor's a annoncé lundi soir 5 décembre la mise sous surveillance négative de 15 pays de la zone euro, parmi lesquels les 6 pays actuellement notés «triple A» que sont l'Allemagne, l'Autriche, la Finlande, la France, le Luxembourg, et les Pays-Bas. La France est même menacée d'une dégradation de deux points contre un seul pour les 5 autres «triple A».

L'agence Standard & Poor's a annoncé lundi soir qu'elle envisageait d'abaisser la note de solvabilité à long terme des six pays de la zone euro notés «AAA» et celles de neuf autres pays de la zone.

Les « mises sous surveillance sont motivées par notre conviction selon laquelle les tensions systémiques dans la zone euro ont augmenté ces dernières semaines jusqu'au point de faire pression à la baisse sur le degré de solvabilité de la zone euro dans son ensemble », écrit Standard & Poor's. Les deux seuls pays de la zone à ne pas être touchés par son annonce sont la Grèce, dont la note correspond actuellement au défaut de paiement, et Chypre, déjà placé sous « surveillance négative ». Standard & Poor’s écrit que les « tensions systémiques » qu'elle a identifiées « découlent de cinq facteurs interdépendants » :

  • « une restriction de l'accès au crédit pour tous les pays de la zone euro »
  • une « hausse prononcée » des taux d'emprunts pour un nombre croissant de pays, dont ceux notés actuellement «AAA»
  • « la poursuite des désaccords entre les dirigeants européens sur les moyens de s'attaquer à la crise de confiance actuelle des marchés, et à plus long terme sur la façon d'assurer une convergence économique, financière et budgétaire plus grande entre les pays membres de la zone euro »
  • le « niveau élevé » de l'endettement des Etats et des ménages dans une « grande partie de la zone euro »
  • « le risque croissant de récession pour l'ensemble de la zone euro en 2012 ».

Lorsqu'une agence de notation place une note sous surveillance négative, cela signifie qu'elle juge supérieure à 50% la probabilité que celle-ci soit abaissée sous trois mois.

Mais les dirigeants européens espèrent infléchir le jugement de l'agence par les décisions qui doivent être adoptées lors du sommet européen des 8 et 9 décembre. Ce sommet doit permettre d'accoucher d'un plan de sauvetage de la zone euro crédible aux yeux du monde entier.

La réponse de l'Europe

Pour Paris, cette réponse s'appuie sur le compromis franco-allemand sur la discipline budgétaire en zone euro, qui pourrait entrer en vigueur dès l'adoption d'un nouveau traité avant l'été 2012. Il prévoit des « sanctions automatiques » et « immédiates » visant les Etats membres de l'UE dont le déficit dépasserait les 3% du Produit intérieur brut (PIB).

Ces sanctions seraient vraisemblablement prononcées par la Commission européenne et une majorité qualifiée des Etats membres de l'UE, calculée au prorata de leur population, sera nécessaire pour s'y opposer. Paris et Berlin entendent également faire de cette règle d'or « renforcée », « sévère » et « harmonisée au niveau européen » le deuxième point fort du nouveau traité. L'ensemble des 17 pays de la zone euro devraient ainsi se doter d'une disposition constitutionnelle de retour à l'équilibre. Par ailleurs, le Mécanisme européen de stabilité (MES), le fonds de secours permanent de la zone euro censé voir le jour mi-2013, serait avancé à 2012. Ce fonds, mieux doté et plus solide, est censé remplacer l'actuel Fonds européen de stabilité financière (FESF), qui a vu le jour en 2010.

Le Fonds européen de stabilité financière (FESF) en difficulté

Conséquence de la décision de placer sous surveillance les principaux pays de l'Union monétaire, c'est maintenant le fonds de soutien de la zone euro lui-même qui est sous surveillance négative. Le FESF est un instrument financier qui lève de l'argent sur les marchés avec une garantie apportée par les Etats de la zone euro, proportionnellement à leur participation dans le capital de la Banque centrale européenne (BCE). Il bénéficie actuellement d'une note «triple A» qui lui permet d'emprunter à des taux avantageux, des sommes qui sont ensuite reversés à des pays en difficulté (Portugal, Irlande) à des taux moindres que ceux qu'ils devraient payer sur les marchés.

Si la note des pays apportant leur garantie au FESF baisse, la note du FESF baissera donc mécaniquement d'autant. Déjà le FESF a été récemment rattrapé par la crise de la dette et a dû payer des taux d'intérêt élevés lors de sa dernière émission de dette en novembre. Il avait alors réussi à lever trois milliards d'euros d'obligations à dix ans, mais les acheteurs ne s'étaient pas bousculés et les taux étaient ressortis en nette hausse par rapport à ses précédentes émissions.

La France particulièrement menacée

Pour l'agence de notation américaine, la France est plus touchée par la crise que les autres «triple A», car ses finances publiques sont affaiblies. De plus, S&P diverge des prévisions économiques du gouvernement français : elle table sur une croissance de 0,5% en 2012, moitié moins que l'exécutif. Quant aux mesures budgétaires mises en oeuvre, l'agence estime qu'elles ne suffiront pas pour atteindre le déficit de 4,5% du PIB visé en 2012.

Enfin, elle s'inquiète aussi pour les banques françaises, craignant que la perception de leur santé par leurs homologues étrangères complique leur capacité à se financer à l'étranger.

Les réactions à l'avertissement de Standard & Poor's

Le gouvernement français veut rester serein face à cette menace. « Une menace », justement, « pas une dégradation », a déclaré le ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé... Il faut toutefois la prendre « au sérieux ». Pour Valérie Pécresse, ministre française du Budget et porte-parole du gouvernement, cet avertissement souligne « l'urgence d'apporter une réponse crédible et d'ensemble » à la crise. Sur le plan intérieur, Nicolas Sarkozy en a appelé lui, à l'union, alors que l'opposition se montre toujours très critique vis-à-vis de l'adoption d'une règle d'or contraignante sur l'équilibre budgétaire.

En Allemagne, la chancelière Merkel et son ministre des Finances, Wolfgang Schaüble, trouvent là une incitation à réussir le sommet européen de jeudi et à poursuivre les réformes. Mais pour la presse allemande comme pour l'opinion publique, c'est la surprise de subir le même avertissement que les autres pays de la zone euro. Le parti démocrate- chrétien, majoritaire, y voit un « calcul d'ordre politique pour détourner l'attention des problèmes d'endettement des Etats-Unis. »

Le président de l'Eurogroupe Jean-Claude Junker, juge pour sa part la menace « exagérée et injuste ». Quant au gouverneur de la Banque de France Christian Noyer, il estime que la méthodologie de l'agence est davantage liée à « des facteurs politiques qu'aux fondamentaux de l'économie », et qu'elle arrive « une nouvelle fois, complètement à contretemps ».

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