Au son du Requiem de Mozart, des bouquets de fleurs à la main, plusieurs dizaines de milliers d’Albanais ont défilé devant le siège du gouvernement vendredi 28 janvier 2011 à l’endroit où trois manifestants ont été abattus le 21 janvier.
Après l’extrême tension qui avait régné à Tirana, suite aux violentes manifestations, l’heure semble être à l’apaisement. Ces derniers jours, les deux camps se sont efforcés de se montrer plus conciliants afin de rassurer la communauté internationale, inquiète de voir l’Albanie sombrer dans le chaos. La communauté internationale avait intensifié les efforts pour tenter d'enrayer la tension entre le pouvoir et l'opposition en Albanie.
« Nous voulons la fin de l'escalade de la violence », avait déclaré devant la presse à Tirana le directeur pour les Balkans occidentaux du service diplomatique européen, Miroslav Lacjak. Des hauts représentants de la diplomatie européenne et américaine, présents en Albanie, avaient plaidé pour une annulation des manifestations. Le Premier ministre, M. Berisha, avait annoncé qu'il renonçait à la manifestation de ses partisans, prévue pour le samedi 29 janvier. Cette annonce constituait le premier signe de désescalade dans la crise politique en Albanie. En revanche, M. Rama avait confirmé qu'il maintenait sa propre manifestation, en promettant un rassemblement pacifique.
Pour ce pays balkanique, rien de moins que sa candidature à l’Union européenne est en jeu. Bruxelles a clairement fait savoir à quel point il est important que le calme revienne et que les institutions démocratiques fonctionnent si le pays ne voulait pas mettre en danger ses perspectives européennes.
« Seule la paix peut guérir les plaies »
«Tout se passera dans le calme et dans le silence », avait déclaré le chef de l’opposition socialiste et maire de Tirana, Edi Rama, à la veille de la marche. Il s’est par ailleurs dit persuadé que « c’est seulement la paix qui pourra guérir les plaies, alors que la violence en ouvre de nouvelles ». Auparavant, le Premier ministre Sali Berisha avait pour sa part annulé le rassemblement de ses partisans pour ce samedi 29 janvier. Autre signe que l’Albanie ne reste pas sourde aux appels au calme : en début de semaine, le président Bamir Topi avait appelé les deux adversaires à instaurer «un dialogue politique et institutionnel, qui est indispensable et très important en ce moment pour la stabilité du pays, l’ordre public et l’image de l’Albanie dans le monde ».
Déjà en 1997, le pays était au bord du gouffre suite à une révolte armée de milliers d’Albanais ruinés par des sociétés spéculatives d’épargne. Mais jamais, depuis la chute du communisme au début des années 1990, l’Albanie n’a traversé une crise aussi longue.
Le dialogue semble impossible
Depuis les élections législatives de juin 2009, le dialogue semble impossible. Le Parti socialiste, qui a obtenu seulement un siège de moins que le Parti démocratique du Premier ministre Sali Berisha, refuse de reconnaître le résultat du scrutin et demande que l’on recompte les bulletins de vote. Mais malgré plusieurs grèves de la faim et des marches de protestation d’envergure, l’opposition n’a pas obtenu gain de cause. Sali Berisha s’oppose farouchement à la réouverture des urnes et nie avoir triché en arguant que l’OSCE et les observateurs européens ont validé les législatives. Pour protester contre l’attitude intransigeante du gouvernement, l’opposition a d’abord boycotté puis réduit au minimum sa participation aux travaux du Parlement.
C’est après la démission, il y a deux semaines, du vice-Premier ministre Ilir Meta, accusé de corruption, que le bras de fer a pris une tournure plus violente. Depuis la manifestation qui s’est soldée par la mort de trois personnes, le pouvoir et l'opposition s'accusent mutuellement d'être responsables des dérapages. Confronté aux critiques, le Premier ministre Sali Berisha s’est défendu en accusant son ennemi de toujours, Edi Rama, d’avoir organisé le 21 janvier dernier « une tentative de coup d’Etat ».
Depuis, le parquet a émis six mandats d’arrêt contre des membres de la Garde républicaine, mais force est de constater que les forces de l’ordre n’ont arrêté personne. La police n’a pas caché son intention de vouloir ignorer la demande du parquet. La mise en place d’une commission d’enquête, sous contrôle gouvernemental, ne promet pas non plus un examen équitable du drame. Les démocrates au pouvoir occupent six des onze sièges. Les socialistes refusent d’y participer.